Le niveau d'activation du nocicepteur est aussi influencé par les nombreuses
substances chimiques retrouvées dans l'espace extracellulaire à la suite d'un
dommage tissulaire. Comme l'indique le tableau 2.1, les substances chimiques
proviennent de trois sources. (i) Elles s'écoulent des cellules endommagées
par le stimulus. (ii) Elles sont synthétisées sur place par des enzymes
provenant des substrats dus aux dommages, ou encore, arrivent dans cette
zone à la suite de l'épanchement de plasma ou de migration des lymphocytes.
(iii) Elles sont sécrétées par l'activité du nocicepteur lui-même. Certaines
substances chimiques activent les nocicepteurs, d'autres les sensibilisent.
Parmi les substances provenant des cellules endommagées, on retrouve
le potassium et l'histamine, reconnus tous les deux comme algésiogènes
vis-à-vis les polymodaux. Les lésions occasionnent aussi la libération de
sérotonine et d'adénosine triphosphate excitant ou sensibilisant les
nocicepteurs. En cas d'inflammation, la bradykinine synthétisée à la suite
de l'épanchement de plasma se retrouve en abondance sur le site endommagé.
Certains produits métaboliques de l'acide arachidonique sont synthétisés
sur place. Parmi eux, les prostaglandines, formées par l'action de la
cyclo-oxygénase. Ces dérivés provoquent l'hyperalgésie tout en sensibilisant
les nocicepteurs aux substances algésiogènes. L'efficacité de l'aspirine et
des autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (parfois utilisés par nos
clients lombalgiques en phase aiguë) s'explique d'ailleurs du fait que ces
médicaments inhibent la cyclo-oxygénase et, du même coup, la production des
prostaglandines. Dans les produits synthétisés sur place, se trouvent aussi
les leucotriènes dérivées de la lipo-oxygénase. Ils provoquent une
hyperalgésie pouvant être bloquée par une déplétion de leucocytes
polynucléaires. Ce phénomène laisse donc supposer que les leucocytes jouent
aussi un certain rôle dans l'activation des nocicepteurs (100).
Enfin, sous l'effet de l'activation des fibres C, le nocicepteur lui-même
libère, dans l'espace extracellulaire, certains neuromédiateurs comme la
substance P, un polypeptide formé de 11 acides aminés. Cette substance
présente un intérêt tout particulier. Elle se retrouve dans les fibres
nerveuses d'une multitude de tissus sensibles à la douleur, notamment dans
les parois des vaisseaux sanguins. À partir des cellules mastocytes, la
substance P provoque la libération d'histamine. Celle-ci, en activant les
nocicepteurs, déclenche, en retour, vasodilatation et oedème(100). Ces
interrelations soulignent le lien étroit entre douleur et inflammation,
démontrant la participation active du nocicepteur à la première ligne de
défense de l'organisme.
Tableau 2.1
Substances chimiques périphériques
Source |
Substance |
Action |
Cellules endommagées |
Potassium |
Algésiogènes vs polymodaux. |
Histamine |
Algésiogènes vs polymodaux. |
Sérotonine |
Activation ou sensibilisation. |
Bradykinine |
Activation ou sensibilisation. |
Adénosine triphosphate |
Activation ou sensibilisation. |
Synthétisées sur place |
Prostaglandine |
Hyperalgésie et sensibilisation des nocicepteurs. |
Leucotriènes |
Hyperalgésie. |
Nocicepteurs |
Substance P |
Vasodilatation et production d'oedème; favorise la libération d'histamine. |
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En plus des substances chimiques, les stimulations répétitives ou les lésions
sensibilisent les nocicepteurs et provoquent une hyperalgésie, une
potentialisation de la réponse lors des stimulations subséquentes. Par
exemple, à la suite d'une blessure cutanée, voici comment se présente la
séquence des événements (216) (i) vasodilatation locale suivie d'un oedème,
d'une tuméfaction et d'une vasodilatation locale responsable de la rougeur;
(ii) hypersensibilité de la lésion initiale (hyperalgésie primaire); (iii)
extension graduelle de l'hypersensibilité aux tissus sains avoisinant la
blessure (hyperalgésie secondaire). Ainsi, en plus de produire la douleur
vive caractéristique de la blessure, la lésion produit une hypersensibilité
à la stimulation nociceptive, des réponses douloureuses à des stimulations
indolores (allodynie) ou des douleurs spontanées sans stimulation. Ces
modifications des récepteurs nociceptifs jouent un rôle important dans les
douleurs pathologiques (100). Elles expliquent, en partie, le comportement
de douleur contradictoire de certains de nos lombalgiques chroniques chez
qui la lésion initiale a depuis longtemps disparu.
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