L'interprétation personnelle du stimulus nociceptif à partir d'une situation
émotionnelle et des expériences passées relève de la perception. Le même
stimulus provoque, d'un individu à l'autre, des douleurs très différentes.
À cause de la complexité des mécanismes supra spinaux mis en jeu, les
connaissances actuelles n'offrent qu'une explication partielle du phénomène
de la douleur. Mais, il est déjà reconnu que des facteurs d'ordre
psychologique comme la culture, la connaissance des conséquences de la
blessure ou de la maladie, les émotions et la mémoire modulent la
nociception (128,164).
L'effet placebo fournit sans contredit l'exemple le
plus convaincant du rôle déterminant de la perception dans la douleur. La
médecine et la psychologie soupçonnent depuis longtemps que des traitements
théoriquement sans effet produisent des changements drastiques,
vraisemblablement dus aux attentes du patient. Une récente revue de la
littérature des trente dernières années confirme l'importance de l'effet
placebo dans la douleur chronique (372). Les traitements placebos
produisent une amélioration substantielle dans le cas d'une multitude
de symptômes ou de conditions, incluant les chirurgies de la colonne
vertébrale. Une seule condition : que le praticien et le patient croient
en l'efficacité du traitement. La modulation de la douleur s'avère
particulièrement sensible à l'administration d'analgésiques placebo.
Leurs effets, au plan neurophysiologique, font maintenant l'objet de
recherches systématiques (102). En fait, Lipman et ses collègues publient
en 1990 la première recherche concluante montrant que l'analgésie placebo
résulte de l'activation d'un système inhibiteur endorphinergique (227).
L'étude se déroule de la façon suivante. Au cours d'une ponction lombaire
(L4-L5) de routine, les chercheurs mesurent, avant et après une injection
d'eau saline (placebo), le niveau d'endorphine chez deux groupes de
lombalgiques chroniques et un groupe contrôle (sans lombalgie). Pour
induire l'effet placebo, le patient est informé du fait que la procédure
entraîne une diminution de la douleur. Le patient réagit au placebo s'il
rapporte une réduction de 50 % ou plus de l'intensité subjective de sa
douleur (évaluée à l'aide d'une échelle verbale de 0-10). Les résultats
sont saisissants. Premièrement, le niveau initial d'endorphine des
lombalgiques chroniques est inférieur (de l'ordre de 50 %) à celui des
sujets de contrôle (sans lombalgie). Deuxièmement, chez les lombalgiques
qui ne réagissent pas au placebo, le niveau d'endorphines ne varie pas au
cours de la procédure. Par contre, les lombalgiques qui répondent au
placebo présentent une augmentation significative du niveau d'endorphine
2 à 3 fois plus importante qu'avant la ponction lombaire. De tels résultats
confirment l'importance de l'effet placebo dans nos traitements. Il faut
en tenir compte. La réduction de la douleur due au placebo ne signifie pas
que le patient simule sa lombalgie. Elle prouve seulement que la croyance
en l'efficacité d'un traitement augmente le pouvoir thérapeutique de cette
intervention. Durant l'École interactionnelle, à la rencontre portant sur
les traitements (chapitre 13), nous présentons aux lombalgiques des
résultats démontrant que tout traitement (y inclus le notre) comporte sa
part d'effet placebo. Nous leur proposons par la suite de « récupérer »
cet effet placebo en le considérant comme une simple forme d'efficience
personnelle dont il faut tirer parti à chaque occasion.
Une constatation s'impose. Le phénomène de la douleur juxtapose plusieurs
paramètres différents. De la périphérie aux centres nerveux supérieurs,
l'information nociceptive chemine par quatre étapes principales :
transduction sensorielle, transmission, modulation et perception. L'action
des systèmes de modulation à tous les niveaux du système nerveux empêche
d'établir un lien direct entre l'activation d'un nocicepteur et la douleur
ressentie. Les connaissances actuelles en neurophysiologie soutiennent
l'idée que des traitements non pharmacologiques (TENS, stimulation des
zones gâchettes, relaxation, techniques mentales de visualisation) sont
efficaces à court terme pour soulager la douleur chronique et aiguë. En
réduisant rapidement sa douleur, le patient reprend confiance dans sa
capacité de s'autotraiter (220). Une raison supplémentaire pour s'impliquer
plus à fond dans les autres activités prévues au programme de l'École
interactionnelle.
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