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Bibliographie
1.  Bases neurophysiologiques
2.  Modèle
3.  Mesure
 2. Phénomène de la douleur

MODÈLE

Comme toutes les autres branches du domaine scientifique, la compréhension du phénomène de la douleur dépend du modèle théorique adopté. La conception sous-jacente aux théories de la douleur est passée d'une causalité linéaire à une causalité circulaire (figure 2.8). Au départ, la théorie de la spécificité proposait que l'information passe de la périphérie vers les centres supérieurs et revienne en commande motrice sans aucune altération (79). Par la suite, la théorie du pattern implique un relais au niveau de la moelle épinière (modulation des afférences dans la substance gélatineuse des cornes postérieures) avant une étape additionnelle d'intégration au niveau des centres supérieurs (voie spinothalamique, noyaux ventro-postérieurs du thalamus puis cortex somatosensoriel) et un retour en commande motrice (125). Dernièrement, la théorie du portillon et la théorie récente de la neuromatrice supposent que la douleur résulte d'une multitude d'interactions et d'échanges d'informations à plusieurs étages du système nerveux (259,261,267). L'information algique arrive à la moelle (cornes postérieurs, principalement Lame I, II et V). Elle est ensuite transmise vers les centres supérieurs par les voies spinothalamiques : latérale (noyaux ventropostérieurs du thalamus et cortex somatosensoriel) et médiane (tronc cérébral, noyau raphé et substance grise périaquéducale, noyaux ventro-médians du thalamus vers le système limbique et le cortex frontal). Cette information douloureuse est modulée à tous ces niveaux avant d'être intégrée comme une perception douloureuse.


Figure 2.8 Évolution des théories de la douleur.
(Reproduction autorisée. Tiré de : Charest, Lavignolle, Chenard, Provencher et Marchand, 1994 École interactionnelle du dos. Rhumatologie, 46, 221-237.)

À la figure 2.9, notre modèle circulaire de la douleur met en évidence les liens entre quatre composantes, nociceptive, sensori-discriminative, motivo-affective et comportementale, représentées respectivement par les ovales 1, 2, 3 et 4. La nociception découle d'une activité nerveuse purement physiologique (fibre A-delta et C) engendrée par une stimulation potentiellement dangereuse pour l'organisme ; elle peut être perçue comme douloureuse ou pas. La composante sensori-discriminative (intensité de la douleur) constitue une expérience subjective : une même stimulation nociceptive peut provoquer une douleur intense ou ne pas être ressentie. La composante motivo-affective (aspect désagréable de la douleur) implique les centres nerveux supérieurs et des fonctions comme la mémoire et l'apprentissage. La composante comportementale désigne les comportements associés à la présence de la douleur, du réflexe d'évitement aux expressions faciales. Ce modèle circulaire se caractérise à la fois par l'indépendance de ses quatre composantes et par leur capacité à s'influencer mutuellement (238).


Figure 2.9 Les quatre composantes du modèle circulaire de la douleur
(Marchand, 1995).

L'indépendance des composantes s'illustre de la façon suivante. La composante nociceptive seule : un enfant absorbé à jouer tombe et s'égratigne légèrement. Pris par son jeu, il ne ressent pas de douleur même si la blessure provoque une réelle activation des fibres nerveuses responsables de la nociception. La composante sensori-discriminative seule : un sujet en laboratoire reçoit un traitement placebo (stimulation neutre) qu'il perçoit douloureux. Il ne souffre pas car la faible intensité de sa perception douloureuse n'évoque aucun aspect motivo-affectif. Et il n'y a aucune atteinte physiologique puisqu'il s'agit d'un effet placebo. La composante motivo-affective seule : au souvenir de la perte d'un être cher, un individu peut ressentir de la douleur en l'absence des composantes nociceptive, sensori-discriminative et comportementale. La composante comportementale seule : le bon comédien peut reproduire toute la gamme des comportements douloureux, des expressions faciales à la claudication, et ce en l'absence des trois autres composantes. De plus, l'augmentation du stress peut affecter seulement la composante comportementale de la douleur comme le montre l'étude suivante (329). Des couples dont le mari souffre de lombalgie chronique participent ensemble à des entrevues, soit neutres, soit très stressantes. Immédiatement après l'entrevue, le patient est invité à faire de la bicyclette stationnaire durant 20 min. Sa conjointe l'encourage à garder un rythme régulier en pédalant (environ 40 révolutions par minute). Les auteurs considèrent le manque de persistance dans une activité physique exigeante comme un comportement douloureux (109). Les résultats montrent que l'augmentation du stress n'augmente, ni l'intensité, ni l'aspect désagréable de la douleur. Mais, stressés lors de l'entrevue en couple, deux fois plus de patients (65 %) terminent prématurément l'activité physique contre seulement 29 % des lombalgiques non stressés. Dans cette étude originale, l'augmentation du stress affecte seulement la composante comportementale de la douleur.

En outre, les composantes peuvent s'associer en formant de nouvelles combinaisons indépendantes. Par exemple, la nociception peut provoquer des comportements de douleur, comme le réflexe de retrait, sans affecter les composantes sensori-discriminatives ou motivo-affectives (combinaison 1-4). La nociception peut aussi entraîner une douleur relativement intense (combinaison 1-2) sans pour autant atteindre les composantes motivo-affectives et comportementales, comme dans le cas d'une stimulation nociceptive utilisée en laboratoire pour détecter le seuil de la douleur (239). L'intensité de la douleur peut également provoquer des réponses motivo-affectives (combinaison 2-3) sans que l'on identifie son origine nociceptive et sans que le sujet ne manifeste de comportements de douleur. Une autre combinaison possible concerne la réponse motivo-affective sans origine nociceptive ou sensori-discriminative (combinaison 3-4), comme dans le cas d'un souvenir pénible accompagné d'une expression faciale de douleur. En plus de coexister sous diverses combinaisons, les composantes s'influencent mutuellement. L'augmentation de l'intensité et de l'aspect désagréable de la douleur accroît les expressions faciales douloureuses. En retour, l'expression faciale module l'évaluation de la douleur : la dissimulation des signes faciaux atténue l'impact d'un choc électrique en diminuant l'évaluation subjective de la douleur, alors qu'une expression faciale traduisant une douleur intense produit l'effet opposé (65, 191). Différents autres enchaînements sont aussi possibles : de la nociception et de l'intensité de la douleur aux comportements douloureux sans passer par l'aspect désagréable (combinaison 1-2-4), comme c'est souvent le cas des douleurs expérimentales servant à déterminer le seuil de douleur (240). Ou encore, de l'intensité de la douleur et de son aspect désagréable aux comportements douloureux sans origine nociceptive claire (combinaison 2-3-4), comme chez la majorité des lombalgiques chroniques.

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