Les quatre caractéristiques principales décrites au
tableau 4.7 distinguent
l'École interactionnelle des autres programmes longs de prise en charge :
équipe, objectifs pédagogiques, buts thérapeutiques et douleur. Pour réaliser
l'intervention, certains programmes longs font appel à une équipe
multidisciplinaire composée de nombreux spécialistes (168).
Des instructeurs, psychologue et pédagogue clinicien, animent le groupe. Un
neurologue explique les mécanismes de la douleur. Un chirurgien orthopédiste
aborde la structure du dos et ses pathologies. Un physiothérapeute démontre les
postures recommandées. Un médecin spécialiste en réhabilitation et des
ergothérapeutes présentent un vidéo où sont abordées différentes activités
quotidiennes (hygiène corporelle, travail, tâches ménagères, loisirs). Dans cet
ype d'École, la succession des intervenants oblige chacun des praticiens à
mettre l'accent exclusivement sur le contenu. Aucune relation thérapeutique
bien établie dans le temps ne leur assure la promotion des changements visés.
À l'opposé, l'École interactionnelle met d'abord et avant tout l'accent sur la
relation. Pour y parvenir, les deux praticiens qui procèdent à l'évaluation
(bilan fonctionel et bilan interactionnel) animent, seuls, les 24 heures de
rencontres en groupe. Ils forment ainsi une équipe interdisciplinaire. Dès
l'examen physique, le praticien commence à exercer son influence en modulant
l'espoir de guérison de son futur client. Ensuite, au lieu de « déverser »
ses connaissances en classe, il peut facilement, au fil des rencontres,
l'informer, l'écouter et apprendre son « langage ». Le but des
rencontres en groupe ne vise pas prioritairement l'acquisition de connaissances.
Les objectifs pédagogiques servent avant tout de moyens pour atteindre des
finalités thérapeutiques qui procureront au lombalgique une façon nouvelle de
voir les choses.
Pour illustrer notre propos, examinons la deuxième étape du programme
intitulée « douleur aiguë » (tableaux 4.8 et 4.9).
L'objectif pédagogique de cette rencontre : identifier ses cartes de la
douleur, les postures temporaires de repli, quelques techniques simples de
gestion de la douleur aiguë et, enfin, la différence entre les stratégies à
privilégier, à plus long terme, contre la douleur chronique et les stratégies à
favoriser, à court terme, contre la douleur aiguë. Pour le lombalgique, cet
objectif pédagogique sert avant tout à atteindre un but thérapeutique :
s'attribuer un rôle d'expert dans la gestion de ses douleurs lombaires. Grâce
aux cartes, il se dote d'un rationnel, d'une « cause logique » à ses
douleurs lombaires. Le client dispose dorénavant d'un langage simple pour
communiquer avec ses thérapeutes, ses partenaires lombalgiques, sa famille...
et son dossier médical. Autrement dit, pédagogie et thérapie jouent un rôle
complémentaire et différent. D'une part, l'objectif pédagogique vise
l'acquisition de connaissances et d'apprentissages psychomoteurs concrets.
D'autre part, le but thérapeutique consiste à aider le client à changer sa
vision de lui-même. L'amener, en quelque sorte, à se considérer peu à peu comme
étant « capable de composer » avec ce problème.
Enfin, la gestion de la douleur représente la quatrième caractéristique
distinguant l'École interactionnelle des autres programmes longs. Nous
considérons la douleur comme la plainte principale du lombalgique. À nos yeux,
être soulagé de ses douleurs constitue la motivation de base pour participer
au traitement. Sans douleur, pas de client dans nos Écoles. Nous ne saurions
trop insister sur cette évidence. Tout comportement humain intentionnel dépend
largement des conceptions ou prémisses de son auteur. Celles-ci gouvernent
ensuite son interprétation des situations, des événements et de ses relations
avec autrui. Les opinions du praticien influencent fortement son attitude et
ses comportements face au lombalgique. À l'École interactionnelle, la prémisse
de départ est simple. Nous reconnaissons de façon explicite que le lombalgique
demeure l'unique expert de sa douleur. Il faut donc s'engager ouvertement à
répondre à sa demande de soulagement. Pour établir clairement nos intentions,
un contrat négocié lors de la première rencontre en groupe précise les buts du
client. Ce contrat prend la forme de deux objectifs personnels à atteindre et
du pourcentage minimal souhaité de réduction de la douleur. Son niveau actuel
de douleur, le lombalgique en évalue l'intensité et l'aspect désagréable à
l'aide des échelles visuelles analogiques présentées à la
figure 2.10. La
recherche démontre que nous surestimons systématiquement la douleur passée
(40, 89, 99,
152, 225,226). Pour éviter ce biais
du à la mémoire, le lombalgique cote donc à domicile, durant trois jours chaque
deux heures pendant ses périodes d'éveil, sa douleur au moment même de tracer
un trait sur les échelles prévues à cet effet
(voir mesure).
Tableau 4.7 Caractéristiques du programme
Élément |
Programmes longs |
École interactionnelle |
Équipe |
Multidisciplinaire : plusieurs spécialistes assument des
parties du programme selon leur domaine d’expertise. |
Interdisciplinaire : les deux praticiens qui effectuent
les bilans (fonctionnel et interactionnel) assument en exclusivité les douze
rencontres en groupe. |
Objectifs pédagogiques † |
Ils constituent le but à atteindre. |
Ils constituent, avant tout, des moyens pour atteindre les
buts thérapeutiques. |
Buts thérapeutiques † |
Les buts thérapeutiques sont flous ou inexistants. La
stratégie d’intervention n’est pas structurée. Elle est laissée au gré du
praticien ou du hasard. Elle ne vise pas la relation entre le lombalgique et
son entourage. |
Les buts thérapeutiques sont clairs
(tableau 4.9). Pour les
atteindre, le praticien utilise une stratégie d’intervention structurée
impliquant des tactiques thérapeutiques
(
tableau 1.5). La stratégie d’intervention vise la relation entre le
lombalgique et des personnes significatives de son entourage (animateurs,
lombalgiques du groupe, membres de sa famille et de son milieu de travail). |
Douleur |
D’une part, le praticien de l’École comportementale ignore
systématiquement la douleur du lombalgique. D’autre part, l’École suédoise
n’utilise pas, à proprement parler, la douleur dans son approche clinique.
Mesure : évaluation de l’intensité de la douleur à l’aide
de questionnaires et d’échelles verbales ou numériques. Cette
procédure d’évaluation fait appel à la mémoire. |
Le praticien considère la douleur comme la plainte
principale (donc comme le coeur de la motivation) du lombalgique. Par
contrat, il s’engage à la réduire.
Mesure : évaluation de l’intensité et de l’aspect
désagréable de la douleur, à domicile, durant trois jours
à l’aide d’échelles visuelles analogiques. Cette procédure
d’évaluation ne fait pas appel à la mémoire. |
†L’objectif pédagogique vise l’acquisition de connaissances (changement
conceptuel ou apprentissage moteur), alors que le but thérapeutique vise à
procurer une nouvelle façon de voir (changement perceptif). Dix tactiques
thérapeutiques, découlant de la stratégie interactionnelle développée au
premier chapitre, permettent d’atteindre les buts thérapeutiques (tableau 4.9).
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Tableau 4.8 Douze étapes - objectifs pédagogiques
Étapes |
Objectifs pédagogiques |
1. Contrat |
(i) Connaître lensemble du programme. (ii) Établir un contrat qui définit à la fois le résultat assuré (réduire la douleur lombaire ; atteindre deux objectifs personnels) et le prix à consentir (nombre de minutes par jour à consacrer aux activités prévues tout au long du programme). (iii) Apprendre à évaluer sa douleur à domicile. |
2. Douleur aiguë |
Identifier ses cartes de la douleur, les postures temporaires de repli, quelques techniques simples de gestion de la douleur aiguë et, enfin, la différence entre les stratégies à privilégier à plus long terme contre la douleur chronique et celles, à court terme, à favoriser contre la douleur aiguë. |
3. Préparation physique |
Se mettre en mouvement par des activités cardiorespiratoires, une routine motrice (échauffement, renforcements, étirements) et des exercices de stabilisation du bassin. |
4. Préparation mentale |
Apprendre à agir directement sur la carte musculaire et indirectement sur la douleur chronique. |
5. Anatomie |
Connaître la structure anatomique de la colonne vertébrale et ses liens avec les cartes de la douleur et avec les prescriptions dexercices. |
6. Terrain |
(i) Identifier les contraintes sur le muscle, les facettes, le disque et sur le disque et muscle. (ii) Trouver des solutions : exercices et postures de vigilance. |
7. Médications |
Différencier le rôle des médications dans la gestion de la douleur aiguë et dans la gestion de la douleur chronique. |
8. Douleur chronique |
Identifier les deux principales caractéristiques des douleurs chroniques et quelques conséquences indésirables à la guérison. |
9. Traitements |
(i) Comprendre leffet placebo. (ii) Analyser lefficacité de différents types de traitements. (iii) Apprendre à stimuler ses zones gâchettes. |
10. Chirurgie |
Saisir le rôle de la chirurgie sur la carte musculaire et ligamentaire, facettaire, discale, sur l'instabilité intervertébrale et sur la carte racine nerveuse. |
11. Recréer ses douleurs |
(i) Évaluer le contrat. (ii) Identifier les actions nécessaires pour recréer ses douleurs dorigine musculaire, facettaire, discale, instabilité intervertébrale et racine nerveuse. |
12. Relance |
Identifier les moyens efficaces à long terme de maintenir les acquis. |
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Tableau 4.9 Douze étapes - buts thérapeutiques
Étapes |
Le praticien amène le lombalgique à... |
1. Contrat |
Adopter des attentes de guérison réalistes et mesurables ; se rendre compte qu’il est le seul en mesure d’évaluer sa propre douleur. |
2. Douleur aiguë |
S’attribuer un rôle d’expert dans la gestion de ses douleurs lombaires. |
3. Préparation physique |
Juger nécessaire de se mettre en mouvement pour réduire ses douleurs chroniques. |
4. Préparation mentale |
Attribuer à ses pensées un rôle direct dans la gestion de la douleur d’origine musculaire et un rôle indirect dans la gestion de la douleur chronique. |
5. Anatomie |
Constater la solidité de l’assemblage vertébral. |
6. Terrain |
Percevoir un lien entre douleur lombaire et mouvements dans le quotidien. |
7. Médications |
Considérer les médications comme une partie du problème des maux de dos chroniques. |
8. Douleur chronique |
Se sentir rassuré sur le fait que ses douleurs chroniques ne sont pas imaginaires ; constater au moins une conséquence indésirable à sa guérison. |
9. Traitements |
Accroître sa croyance dans ses propres capacités à s’autotraiter. |
10. Chirurgie |
Rendre ses attentes conformes au fait que la chirurgie ne constitue que très rarement une solution à la lombalgie chronique. |
11. Recréer ses douleurs |
Se rendre compte du contrôle qu’il exerce désormais sur ses douleurs lombaires. |
12. Relance |
Se voir confirmer dans sa capacité à s’autotraiter. |
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