Pour bien distinguer les perspectives monadiques et pragmatiques, imaginons
le conflit suivant. À sa dernière rencontre, un praticien se retrouve aux
prises avec un lombalgique insatisfait des résultats malgré des notes
évolutives objectivant une amélioration de l'amplitude d'une cible articulaire
ou de l'endurance d'un groupe musculaire. L'échange débute. Le lombalgique
définit sa vision de la relation en disant : « Je sais que vous voulez me
laisser tomber » et le praticien répond (donnant ainsi sa propre
définition de la relation) « Vous me prêtez encore de mauvaises
intentions » ! L'analyse monadique de ce bref échange aboutit
forcément à attribuer au lombalgique et au praticien des propriétés
hypothétiques, dont ils sont complètement dépourvus ou qui restent impossibles
à démontrer. Du point de vue monadique, la réplique du lombalgique
(« Je sais que vous voulez me laisser tomber ») peut être considérée
comme une manifestation de l'angoisse d'être rejeté. Et la réponse du
praticien (« Vous me prêtez encore de mauvaises intentions »), comme
l'indication d'une manie de persécution. En attribuant ainsi aux partenaires
des propriétés qui font obligatoirement référence à une cause interne ou
cachée - pulsion, trait de caractère, refoulement ou faiblesse de l'esprit -,
il devient ensuite tout à fait logique d'y recourir pour y trouver une
explication du comportement. En d'autres termes, si l'observateur s'attache à
la vision unilatérale et monadique des partenaires (praticien ou lombalgique),
il s'oblige à faire appel, tôt ou tard, à des causes cachées comme «
méchanceté «, « folie » ou « maladie mentale » pour
expliquer leurs désordres de comportement.
À l'opposé, si l'observateur choisit la perspective pragmatique (ou
interactionnelle), il accède du même coup à un point de vue radicalement
différent du conflit. La conception pragmatique considère que les comportements
perturbés résultent de la communication interhumaine et non d'individus
« méchants », « malades mentalement »,
« hypocondriaques » ou « hystériques ». Cette hypothèse
concerne toutes les perturbations du comportement à l'exclusion, bien sûr,
des désordres d'origine organique dont la nature même les lie à la notion
d'objet d'étude indépendant de l'observateur. Dans le cas du praticien aux
prises avec le lombalgique insatisfait, inutile de donner à ce conflit une
signification issue du domaine des spéculations psychodynamiques. Du point
de vue pragmatique, le conflit résulte de l'absence de communication
concernant l'amélioration attendue de part et d'autre à la suite de ce
traitement. Un moyen efficace d'éviter pareil conflit consiste à discuter des
expectatives mutuelles en début de traitement. Au cours de la première
rencontre en groupe à l'École interactionnelle, lombalgiques et praticiens
établissent un contrat écrit précisant clairement leurs attentes réciproques
(chapitre 5). Cette modalité élémentaire évitera plus tard les malentendus.
En résumé, la conception monadique de la conduite humaine néglige
l'interaction entre les individus. Elle mène nécessairement à une explication
intrapsychique et indémontrable. Au contraire, la conception pragmatique
prétend que le comportement humain résulte des relations interhumaines. Pour
appliquer l'École interactionnelle, le praticien fait un choix épistémologique
clair. Il adopte un point de vue pragmatique. Ce passage au domaine des
interactions entre monades amène, bien entendu, de profondes modifications
dans la conception psychologique du comportement humain. Le changement le plus
radical réside incontestablement dans la substitution de la notion monadique
de causalité linéaire par le concept pragmatique de causalité circulaire.
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