Une autre propriété simple de la communication concerne sa forme. Elle en
prend deux : verbale ou non verbale. Le langage verbal communique
normalement le contenu du message. Pour sa part, le code non verbal sert à
établir et à maintenir les relations interhumaines. Pour promouvoir des
changements utiles chez le lombalgique, l'influence du praticien s'exerce à
la fois par sa communication verbale et non verbale. En classe, comme dans
la vie de tous les jours, notre perception s'appuie sur des indices verbaux
pour le tiers seulement des messages échangés. Les deux autres tiers
s'établissent à partir des indices non verbaux utilisés par les partenaires
(334). La prépondérance de cette communication non
verbale ne signifie toutefois pas pour autant que les messages non verbaux
soient plus spontanés que les paroles. Contrairement à la croyance générale
voulant « que le comportement non verbal reflète habituellement une
réaction affective spontanée et intense, la recherche souligne plutôt que,
dans plusieurs circonstances, le comportement non verbal peut être produit
pour influencer les autres. » (87, p. 30). La
sensibilité non verbale des médecins et leurs habiletés à communiquer des
émotions sur ce plan affectent la qualité de leurs interactions et, en
retour, la collaboration et la satisfaction des patients à leur égard
(131,179). En fait, le clinicien communique à chaque
interaction, volontairement ou à son insu, comment le lombalgique qui reçoit
son message devrait le comprendre. Sa relation, il la définit surtout à
l'aide de trois dispositifs communicationnels : regard, voix et expressions
faciales.
Regard. Le praticien définit sa position dans la relation
complémentaire avec le lombalgique par des signaux visuels de dominance
(position one up) ou de soumission (position one down).
Comme l'indique le tableau 1.2, le ratio de dominance visuelle se calcule en
comparant le pourcentage de temps passé à regarder-en-parlant à celui
consacré à regarder-en-écoutant (95). Moins le clinicien consacre de
temps à regarder-en-écoutant, plus le ratio est élevé et plus il communique
des signaux de dominance (38,84).
Comparé au thérapeute en position one down, il passe approximativement
10 s de moins par minute à regarder-en-écoutant (94).
En conséquence, pour prendre une position one down (non expert), le
praticien doit utiliser des indices visuels de soumission en augmentant le
temps passé à regarder-en-écoutant. D'ailleurs, plus de contacts visuels et
moins de regards d'évitement rehausseront son évaluation aux yeux des
participants en le faisant paraître plus perspicace (402).
À l'opposé, s'il détourne souvent les yeux ou évite le regard des participants,
le praticien paraîtra incompétent, passif et moins attrayant
(43). Chose certaine, le clinicien qui établit peu ou
pas de contacts visuels mutuels obtient des réponses plus courtes à ses
questions (178).
Tableau 1.2
Dominance visuelle
Dominance visuelle = |
% de temps passé à regarder en
parlant
% de temps passé à regarder en écoutant |
|
En outre, le praticien fournit aux lombalgiques la majorité des indices de
ses intentions par sa communication visuelle (97). Son
regard remplit trois fonctions essentielles : (i) établir et maintenir, soit
une relation égalitaire (interaction symétrique), soit une relation de pouvoir
(interaction complémentaire), (ii)&nbp;stimuler et intensifier une émotion,
(iii) exprimer intérêt, chaleur, acceptation et respect envers le lombalgique
(399). La communication visuelle constitue pour ces
raisons une puissante source de renforcements. Regarder attentivement une
personne dans les yeux au moment où elle change de comportement ou exécute
un mouvement augmente la probabilité de reproduction de ce comportement ou
d'exécution de ce mouvement (246). Par exemple, un
simple contact visuel à la fin d'une intervention verbale amène généralement
le lombalgique visé à parler davantage. Une exception prévisible : le
contact visuel n'est renforçant que pour les personnes qui ont déjà eu, par
le passé, des contacts visuels mutuels jumelés à des expériences positives.
Le praticien ne doit donc pas trop insister (surtout au début) pour établir
un contact visuel mutuel auprès du client qui évite systématiquement son
regard. Mais surtout prendre soin de ne pas le rejeter. En somme, le regard
communique la « dominance » de la position one up (regarder
moins en écoutant) et la « soumission » de la position
one down (regarder plus en écoutant). Le contact visuel contribue non
seulement à rendre la relation plus intime, mais aussi à traduire un sentiment
de valeur personnelle au lombalgique souffrant d'une faible estime de soi
(52).
Expressions faciales. Praticien et lombalgique définissent aussi leur relation
par leurs expressions faciales. Avec la voix, le visage constitue la source
d'information la plus importante disponible pour le clinicien. En classe, il
vérifie instantanément la compréhension des participants en observant leurs
réactions faciales à ses paroles. En contact avec l'expression faciale de la
douleur (tableau 1.3), il développe une relation empathique. L'empathie se
définit comme « l'habileté à percevoir avec précision ce que l'autre personne
ressent » (215, p. 234). Elle se produit
quand une personne se soucie du bien-être de l'autre et perçoit l'autre
dans le besoin (17). Elle constitue un important
phénomène social où les sentiments d'une personne sont à la fois communiqués
et partiellement ressentis par l'autre. L'empathie se développe de la façon
suivante. Le participant manifeste continuellement ses émotions à travers ses
expressions faciales spontanées (90). Pour sa part, le
praticien éprouve ce que le lombalgique ressent à cause de notre tendance
innée à imiter spontanément les expressions faciales du visage observé
(67,257). Regarder simplement une
autre personne sourire à la télévision déclenche machinalement un sourire à
peine perceptible. Parler en souriant augmente automatiquement les sourires
de l'auditeur (85). Ici, l'acte même d'imitation
constitue l'élément clef de l'empathie. En regardant le visage souffrant du
lombalgique, le praticien reproduit cette expression faciale
(301,310,311).
Une plus longue durée de contacts visuels augmente considérablement la
fréquence de ces imitations empathiques (60).
En retour, la contraction des muscles faciaux engendrent chez le praticien
des sensations proprioceptives. Des changements physiologiques qui feront
naître en lui des émotions ou des sensations subjectives identiques à celles
vécues par le lombalgique. L'intensité de l'émotion ainsi ressentie reste
cependant en deçà du seuil initial de l'émotion observée chez son client.
Les mouvements faciaux ne sont probablement jamais reproduits de façon
intégrale (146,147,413,414).
D'autre part, notre capacité à reconnaître les expressions faciales des
émotions reste d'habitude inférieure à celle nous assurant la reconnaissance
de ces émotions exprimées par la voix (166,
325).
Tableau 1.3
Expression faciale de la douleur
Expression |
Actions spécifiques |
Douleur |
Abaissement des sourcils, plissement du nez et soulèvement de la lèvre supérieure, rétrécissement des orbites et fermeture des paupières sous l'action de muscles faciaux (sourcilier, élévateur de la lèvre supérieure et orbiculaire des paupières). À ces quatre actions spécifiques s'ajoutent, de façon non consistante toutefois, l'ouverture de la bouche, l'étirement oblique des lèvres (risorius)- et une diminution du taux de clignements des paupières. |
|
Voix. La communication vocale s'effectue à l'aide des indices
paralinguistiques décrits au tableau 1.4. La qualité de la voix du lombalgique
signale avec précision ses émotions. À preuve : pour démontrer la
fiabilité de la voix sur laquelle repose « l'intuition clinique »,
des chercheurs demandent à des étudiantes et des étudiants en musique et en
droit d'évaluer la voix de personnes dépressives à partir de brefs
enregistrements (30 s) réalisés avant et après traitement
(291). Le contenu des enregistrements est masqué ;
un filtre électronique en rend les paroles inintelligibles en éliminant les
hautes fréquences. Cette procédure conserve intacts les indices
paralinguistiques de la voix : fréquence fondamentale, intonation,
volume, débit et pauses. Dans 80 % des cas, les étudiants sont capables de
distinguer si l'enregistrement a été effectué pendant la dépression ou après
la guérison thérapeutique (les étudiants en musique réussissant à 85 %
et ceux de droit à 60 %). Mais, en dépit de la capacité de la majorité
des individus à reconnaître la voix dépressive, l'étude approfondie des
paramètres de la voix révèle qu'aucun des indices paralinguistiques,
considérés séparément, ne permet d'identifier la dépression. Plutôt, c'est
la qualité de la voix fournie par l'ensemble des indices paralinguistiques
qui influe sur notre jugement (349).
L'influence vocale du praticien s'exerce aussi à travers ces mêmes indices
paralinguistiques. Il modifie ainsi considérablement le cours des
interactions. Parler d'une voix calme rassure le lombalgique. Nous avons le
sentiment d'être compris quand le locuteur nous parle d'une voix basse et
douce (une voix calme), sourit et maintient un contact visuel élevé. À
l'inverse, nous éprouvons le sentiment d'être incompris quand le locuteur
parle avec hésitation, hausse la voix, paraît tendu ou tape du pied
(45). Une voix calme rassure parce que le ton de voix
traduit la compétence du clinicien (31). Comparé au
praticien moins performant, le praticien compétent (selon l'évaluation de
ses superviseurs) converse avec le patient sur un ton présentant moins
d'anxiété. En plus, au tout début de l'entretien, le clinicien habile et
désireux de maximiser son influence s'adresse davantage au patient en usant
d'un langage professionnel. Ensuite, il abandonne cette tactique pour
utiliser un ton de voix de plus en plus chaleureux. La respiration constitue
l'ingrédient de base d'une voix calme. Une exhalation partielle, à 70 %
de sa capacité pendant quelques cycles respiratoires, déclenche immédiatement
un sentiment d'anxiété qui se reflète dans la locution du clinicien. Au
contraire, une respiration lente et profonde suffit la plupart du temps à se
calmer momentanément (298). De plus, la respiration du
praticien influence directement celle du lombalgique (358).
Des informations capitales à utiliser à la fin de chacune des rencontres en
classe quand le praticien « dirige », de sa voix seulement, les
quinze minutes pratique aboutissant à la réponse de relaxation
(chapitre 8).
Tableau 1.4
Indices paralinguistiques
Indice |
Description |
Hauteur |
fréquence fondamentale de la voix. |
Intonation |
variation dans la hauteur de la voix. |
Force |
volume de la voix. |
Débit |
nombre de mots par minute. |
Pause |
un silence; silence qui précède un changement de locuteur (pause de transition); changement de phrase, répétition, bégaiement, etc. (pause d'hésitation); interruption du flot de paroles par des "e-e" (pause de remplissage). |
|
En outre, par les indices paralinguistiques de sa voix, le praticien
« persuade » le lombalgique du bien fondé de ses suggestions. La
voix convaincante traduit pour ainsi dire la gaieté, l'enthousiasme et
l'intérêt dans la réalisation de la tâche. Une intonation variable (de
fréquents changements dans la hauteur de la voix) constitue l'indice le plus
déterminant du degré d'attraction et de compétence (294).
Voix légèrement plus élevée, articulation claire et distincte,
synchronisation des paroles avec les gestes, hochements de la tête,
expressions faciales et mouvements du corps augmentent aussi la crédibilité
et le degré de persuasion du praticien (406,415). En
ce qui concerne les praticiens qui parlent vite, ce n'est pas le débit rapide
qui « persuade », mais plutôt une élocution fluide ponctuée de peu
d'hésitations. En classe, la présence d'un nombre élevé de ces hésitations
produit des évaluations négatives de la part des participants. Du praticien,
elles donnent l'impression qu'il est peut-être agressif, anxieux, méprisant,
défensif ou simplement ennuyé (133). De plus, nasiller
élimine totalement l'effet de persuasion de la voix
(300). Enfin, la quantité de paroles transforme aussi
la relation avec le client lombalgique. Au cours de l'évaluation clinique, ce
dernier préfère le praticien qui parle peu sans laisser de longues périodes
de silence, à celui qui parle beaucoup ou modérément, attitude jugée plutôt
dominante (177). Somme toute, à travers la composante verbale et non verbale
de sa voix, le praticien établit et maintient une relation avec le
lombalgique en indiquant comment celui-ci devrait comprendre chacun de ses
messages. Aussi, il peut se fier à la qualité de la voix du lombalgique pour
identifier avec plus de précision ses émotions. En conclusion, la stratégie
d'intervention de l'École interactionnelle récupère le fait que le praticien
influence invariablement le lombalgique, volontairement ou à son insu, par
sa communication visuelle, faciale et vocale. Elle s'appuie au plan théorique
sur trois concepts : interaction, causalité circulaire et axiomes de la
communication. Elle prend pour cible l'interaction entre les monades
impliquées dans le traitement : lombalgique et praticien, lombalgiques
entre eux ou lombalgique et membres significatifs de son entourage.
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