En plus des interventions directes sur la douleur, via la contracture musculaire, le lombalgique chronique apprend à contrôler indirectement ses souffrances via les modulations de la sensation douloureuse par les centres nerveux supérieurs. Les voies douloureuses situées dans le noyau central-latéral et dans la région du thalamus médian projettent dans de nombreuses sphères du cortex, notamment dans le lobe frontal et le système limbique. Tenues responsables de la composante motivo-affective de la douleur, ces deux destinations des voies de la douleur sont impliquées, soit dans la régulation des émotions dans le cas du système limbique, soit dans les processus les plus complexes de la conscience dans le cas du cortex cérébral. Cependant, comme l'indique notre modèle circulaire de la douleur, les stimuli douloureux qui en résultent ne sont associés directement ni à la localisation de la douleur ni à la nature même du stimulus (figure 2.9). Cette constatation a l'avantage de faire appel, pour expliquer la douleur lombaire chronique, à une causalité circulaire. Une causalité que nos tableaux cliniques linéaires (tableau 3.7) laissent dans l'ombre dans 8 cas de lombalgie chronique sur 10.
D'autre part, face au syndrome de déconditionnement mental, les partisans des pratiques aboutissant à la réponse de relaxation attribuent plusieurs mérites thérapeutiques à cet apprentissage : participation active du client à son traitement, récupération de l'efficience personnelle, réduction ou disparition de la dépression et amélioration de l'estime de soi (165,235,295,352). Combinées aux exercices physiques, les techniques mentales constituent la méthode la plus efficace pour réduire la tension et augmenter l'efficience motrice et mentale (356). Les effets de ces techniques ne sont pas pour autant équivalents (214). Celles visant à nier les sensations sont peu efficaces. L'effet " rebond " qu'elles entraînent fait ultérieurement apparaître le prochain stimulus plus douloureux encore ! Dans l'approche mentale indirecte associée à la gestion de la douleur, la distraction ou le monitoring de la sensation douloureuse donnent de bien meilleurs résultats (62). En utilisant l'imagerie mentale sur des zones gâchettes, des patients ont pu provoquer une augmentation de leur température et de leur relaxation musculaire à ce niveau, une augmentation combinée à une réduction de leur sensibilité à la pression (2). À l'École interactionnelle, nous utilisons régulièrement ces zones. Elles facilitent la concentration du lombalgique sur ces localisations spécifiques, des endroits facilement identifiables, et par le clinicien, lors de l'évaluation initiale, et par le client, lors d'exercices préliminaires avec des balles. Plus spécifiquement, nous employons de façon systématique les techniques mentales décrites au tableau 8.1. L'évaluation des effets des techniques mentales sur la douleur permet d'avancer l'hypothèse suivante : l'écart entre le peu de contrôle perçu par le lombalgique et son désir élevé d'exercer un contrôle sur ses douleurs chroniques assure en grande partie l'efficacité de la technique utilisée (204). Bien guidés, environ 90 % pour cent de nos lombalgiques parviennent ainsi à la réponse de relaxation. Guère plus de 15 % atteindront toutefois une forme d'anesthésie partielle ou totale de leur douleur lombaire. Des résultats qui, au plan clinique, s'apparentent à ceux de l'hypnose (71,407).
Tableau 8.1
Techniques mentales
Appellation |
Usage |
Relaxation musculaire |
Fréquemment utilisée selon la méthode Jacobson ou Schultz (encadrés 8.1 et 8.2). Son efficacité se justifierait en brisant le cercle vicieux : " douleurs - craintes - tension musculaire - douleurs " dans le cas de Jacobson et des premières étapes du training autogène de Schultz. |
Distraction par déplacement |
Utilisée lorsque la douleur est concentrée dans une zone spécifique et bien définie et que le niveau de tolérance du lombalgique a atteint son point limite. Les suggestions amènent le lombalgique à transférer sa douleur vers une autre partie du corps moins vulnérable et habituellement indolore. |
Distraction par substitution |
Des sensations plus tolérables telles le froid, la chaleur, le pincement, le picotement et autres viennent se substituer à la sensation de douleur. Une technique simple et facile à utiliser. |
Monitoring |
Une certaine forme de contrôle de la douleur s’établit à partir du fait que le patient s’efforce de disséquer sa douleur, d’en relever toutes les caractéristiques : légère, modérée, intense, brûlante, piquante, profonde, superficielle, etc. Une technique simple et facile à utiliser. |
Imagerie mentale |
À l’aide des suggestions de l’encadré 8.3, le lombalgique exerce une certaine forme de contrôle de la douleur en remontant visuellement le long du trajet emprunté par les messages douloureux. |
Autohypnose |
Ses effets sur la douleur rejoindraient ceux obtenus avec l’hypnose dans certaines des inductions du training de Schultz (lourdeur, chaleur, etc.). |
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