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11.  Plan
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13.  Diapositives
 7. Syndrome de déconditionnement moteur

PROUVER TOUT ET RIEN DU TOUT

Tendons, insertions, direction et fonction : le muscle rassure. Pourtant, la notion de chaîne musculaire postérieure introduite par Mézières déstabilise l'ordre parfait des planches d'anatomie (171,210). La colonne vertébrale quitte définitivement le marbre des tables de dissection pour le tapis de rééducation. Une approche motrice plus globale vient de naître de l'hypothèse « logique » d'un raccourcissement des chaînes postérieures. Une approche où le patient est mobilisé sans ménagement en étirements passifs. Douloureux certes, mais la procédure n'est pas dangereuse. Mézières invente ainsi le «90-degrés vers l'avant ». Une posture de mise en tension sans compensation maintenue suffisamment longtemps pour que le patient puisse percevoir une différence significative après le traitement. Un feedback proprioceptif essentiel pour le convaincre de l'efficacité de la manoeuvre. Un traitement biomécanique original juxtaposé à une perspective thérapeutique déjà plus large que la vision réductionniste des thérapeutes de l'époque. À juste titre, le rationnel de cette hypothèse séduit toujours ceux qui l'étudient aujourd'hui.

À l'inverse, pour délester le disque, McKenzie propose le « 90-degrés vers l'arrière ». Une position typique d'allégement qui résume en partie une approche biomécanique globale tout aussi originale que la précédente. Au raccourcissement « logique » des chaînes postérieures associé au travail d'antigravitation des extenseurs, McKenzie oppose sa théorie tout aussi « cohérente » d'une pression continue exercée par les postures en cyphose de notre vie quotidienne sur le disque et les ligaments postérieurs (253-255). Il propose une classification clinique en trois niveaux, posture, dysfonction et dérangement, offrant ainsi une autre logique à l'intervention. En somme, deux thérapies différentes, deux justifications biomécaniques antagonistes qui partagent la même conception d'une causalité linéaire biomécanique à l'origine des lombalgies chroniques. Mais cette conception soulève un problème concret pour le clinicien : les recherches linéaires des dix dernières années ne font qu'accumuler les contradictions. Les unes après les autres, les hypothèses les plus « logiques » s'effondrent en entraînant une débâcle thérapeutique sans précédent à laquelle survivent encore quelques mythes.

Mythe 1 : les extenseurs du lombalgique sont trop puissants, après tout.

L'action antigravité des extenseurs apparaît « évidente » dans nos postures quotidiennes. Trop puissants, trop courts et trop sollicités, les extenseurs doivent être étirés en priorité chez le lombalgique. Et surtout, évitez de les renforcer, vous aggraveriez le problème. Une thèse bien articulée qui s'appuie sur des données empiriques. La force des extenseurs du lombalgique apparaît supérieure à celle des fléchisseurs, limitant ainsi les possibilités de flexion avant (332,339). La réduction significative de la flexibilité des ischio-jambiers, un autre élément important de la chaîne postérieure, confirme aussi l'écart entre sujets lombalgiques et sujets sains (144). Par conséquent, des étirements agressifs et manuels vont augmenter l'efficacité d'un traitement multimodal, confirmant ainsi la supériorité d'un travail en flexion déjà mis en évidence dans une recherche en double aveugle (172,174). En voilà bien assez pour rassurer les Méziéristes. Mais, à part les spondylolisthésis et le rétrécissement notable de l'espace entre les disques, on ne parvient pas à expliquer l'absence totale de corrélation et de conclusions valides entre la lombalgie et l'ensemble des observations radiographiques telle que la flexion latérale, la flexion antérieure ou la rotation de la colonne (129). Parfois, on met en cause le manque de souplesse des ischio-jambiers ou du psoas, deux éléments clefs qui font partie de la chaîne postérieure antigravitaire. Pourtant, la souplesse de ces muscles s'avère un bien mauvais indice de prédiction des maux de dos chez les jeunes recrues de l'armée (28). Reste le Schober, l'ultime indice de flexibilité lombaire. Il possède une valeur pronostique intéressante, mais chez les hommes seulement. Personne n'a pu encore expliquer rationnellement pourquoi il n'en est pas de même chez les femmes (28).

Mythe 2 : les extenseurs du lombalgique sont trop faibles, avant tout.

Supportés aussi par une logique sans faille, d'autres praticiens aboutissent, impassibles, à une recommandation opposée. Extenseurs et muscles du tronc remplissent difficilement leurs fonctions d'antigravitation chez le lombalgique. Il existe déjà quelques " évidences " associant faiblesse des extenseurs de la colonne et lombalgie chronique (28). Des lombalgiques qui renforcent ces chaînes musculaires s'améliorent, de façon marginale cependant, par rapport aux patients qui bénéficient d'un travail en flexion ou d'un traitement de diathermie (74). Réduction de la douleur, amélioration du niveau d'efficience personnelle et du fonctionnement psychologique, voilà ce que procurent les exercices de renforcements isométriques des extenseurs à d'autres chroniques (236,318). Chargez les facettes mais surtout épargnez le disque : un slogan prôné récemment et accompagné aussi des mêmes types d'exercices d'extension (148). Associée à ce genre de travail, l'alternative rationnelle du délestage du disque a de quoi séduire (253). Mais la relation entre dégénérescence du disque et symptôme lombaire est loin d'être établie (170). Qui plus est, le disque dégénère régulièrement avec l'âge (377). Comment expliquer alors que les douleurs dorsales atteignent un maximum durant la maturité pour diminuer par la suite ? Des nuances transparaissent aussi dans quelques travaux. Certes les programmes de renforcement en hyperextension donnent d'excellents résultats. Mais des résultats semblables à ceux obtenus avec d'autres méthodes (132). Par rapport à des sujets sains, la force des fléchisseurs et celle des extenseurs du tronc est significativement diminuée chez les lombalgiques chroniques. La réduction la plus importante se manifeste effectivement au niveau des extenseurs. La réduction dans le ratio flexion-extension évalué en contractions concentriques reste toutefois non significative en comparaison avec celle d'un groupe contrôle. Des résultats qui démontrent, selon l'auteur de l'étude, que le ratio entre la force des fléchisseurs et celle des extenseurs s'avère inadéquat pour évaluer le statut musculaire du lombalgique (318).

Mythe 3: le lombalgique doit renforcer ses abdominaux, un point c'est tout.

À défaut d'une preuve évidente entre le rôle des fléchisseurs ou des extenseurs dans la lombalgie chronique, les abdominaux deviennent alors la cible. La répartition équilibrée, offerte par une sangle abdominale solide, des forces entre les parties antérieures et postérieures du tronc fait du renforcement des abdominaux un objectif clinique conventionnel (280,281). Il y a bien, là encore, quelques preuves du lien entre faiblesse des abdominaux et lombalgie chronique (28). Pourtant, chez les lombalgiques, ces muscles conservent tout près de 80% de leur force. Certains auteurs favoriseront donc le travail en flexibilité des hanches et la mobilité lombaire bien avant le renforcement de la musculature antérieure du tronc (256).

Mythe 4: la lombalgie est un problème de déséquilibre postural, surtout.

Il s'agit ici, encore une fois, d'un concept clinique « évident ». En portant systématiquement son poids sur un côté, la posture antalgique du lombalgique provoque naturellement une dysfonction droite-gauche. Une conséquence qui, à la longue, pourrait bien expliquer la cause. Quelques travaux étaient ce déséquilibre (159,404). On observe chez des sujets lombalgiques une asymétrie posturale et électromyographique au niveau cervical et lombaire, entre le côté droit et le côté gauche (72). Toutefois, aucune de ces recherches ne respecte les normes des études contrôlées. Un travail récent et mieux validé ne supporte pas cette théorie du déséquilibre postural unilatéral (49). Difficile par ailleurs de défendre un lien direct entre asymétrie posturale et maux de dos quand l'incidence (59 %) de la lombalgie due aux scolioses, cette asymétrie biomécanique par excellence, est identique à celle de la population en général (181). En ce qui a trait aux déséquilibres objectifs associés à la différence de longueur des membres inférieurs, ils ne sont pas, eux non plus, reliés aux douleurs dorsales chroniques (410).

Si, pour un problème identique, s'offrent autant de prescriptions logiques et contradictoires, il y a peu de chance qu'elles soient très spécifiques et très efficaces. Flexibilité des ischios, taille, amplitude de la flexion lombaire, qualités physiques, tous ces paramètres peuvent être ou ne pas être en corrélation avec la lombalgie (144,302). Ils ont donné lieu à des classifications et à des sous classifications à outrance. En fait, aucun des paramètres mentionnés ne possède, en soi, de véritable valeur prédictive ou curative. Autrement dit, il n'y a pas de cause linéaire spécifique à la lombalgie chronique. Le clinicien navigue ici à l'aveuglette dans un océan de contradictions. Le ratio des maux de dos observés entre l'industrie légère et l'industrie lourde varie de 1 à 5. Pourtant, les haltérophiles ne manifestent pas plus de problèmes que les travailleurs de l'industrie légère. Les infirmières prétendent que leurs conditions de travail et la manipulation des patients leur occasionnent ce problème (341). Mais l'incidence de leurs lombalgies ne diffère pas significativement de celle des enseignants. Eux qui ne manipulent que des crayons ! Impossible également d'expliquer par des facteurs biomécaniques linéaires la différence des taux de lombalgie rapportée dans les études épidémiologiques entre employés de banques et employés des compagnies d'assurances (73).

Huit tests physiques permettent de discriminer entre lombalgiques et groupe contrôle : flexion pelvienne, flexion totale, extension totale, flexion latérale, lever d'une jambe tendue, zones gâchettes au niveau vertébral, lever bilatéral actif des jambes tendues et abdominaux. À la limite, des tests qui sont redondants. Ils ne permettent ni d'identifier des pathologies objectives ni d'atteindre un diagnostic définitif. Ils jettent aussi un doute sur le concept clinique de limitation physique dans la douleur chronique lombaire. En fait, le praticien observe peut-être simplement un patient qui manifeste des comportements compréhensibles de douleur, de peur et de détresse psychologique (383,384). Ou encore, la réduction de la force des muscles du tronc observée n'est peut-être pas la cause mais simplement la conséquence des maux de dos (339). Et il y a pire encore. La satisfaction au travail serait un bien meilleur facteur de prédiction de l'évolution de la lombalgie que toutes ces évidences biomécaniques (30,382,385). Deux fois et demie plus de chances d'en avoir « plein le dos » chez ceux qui sont insatisfaits de leurs conditions d'emploi (368). Aux irréductibles partisans d'une causalité linéaire biomécanique ou physique, il reste encore le péché originel de la station debout. Un argument qui tranche. À la condition bien sûr d'ignorer le processus sous-jacent de l'évolution naturelle. Il aurait favorisé les adaptations requises dans le cas de la dentition, du système nerveux ou pileux pour en exclure délibérément la colonne vertébrale. Une punition divine.

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