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Bibliographie
1.3.1  Impossibilité de ne pas communiquer
1.3.2  Contenu et relation
1.3.3  Symétrique ou complémentaire
1.3.4  Verbale et non verbale
 1. Effet Palo Alto

3.4 VERBALE ET NON VERBALE

Une autre propriété simple de la communication concerne sa forme. Elle en prend deux : verbale ou non verbale. Le langage verbal communique normalement le contenu du message. Pour sa part, le code non verbal sert à établir et à maintenir les relations interhumaines. Pour promouvoir des changements utiles chez le lombalgique, l'influence du praticien s'exerce à la fois par sa communication verbale et non verbale. En classe, comme dans la vie de tous les jours, notre perception s'appuie sur des indices verbaux pour le tiers seulement des messages échangés. Les deux autres tiers s'établissent à partir des indices non verbaux utilisés par les partenaires (334). La prépondérance de cette communication non verbale ne signifie toutefois pas pour autant que les messages non verbaux soient plus spontanés que les paroles. Contrairement à la croyance générale voulant « que le comportement non verbal reflète habituellement une réaction affective spontanée et intense, la recherche souligne plutôt que, dans plusieurs circonstances, le comportement non verbal peut être produit pour influencer les autres. » (87, p. 30). La sensibilité non verbale des médecins et leurs habiletés à communiquer des émotions sur ce plan affectent la qualité de leurs interactions et, en retour, la collaboration et la satisfaction des patients à leur égard (131,179). En fait, le clinicien communique à chaque interaction, volontairement ou à son insu, comment le lombalgique qui reçoit son message devrait le comprendre. Sa relation, il la définit surtout à l'aide de trois dispositifs communicationnels : regard, voix et expressions faciales.

Regard. Le praticien définit sa position dans la relation complémentaire avec le lombalgique par des signaux visuels de dominance (position one up) ou de soumission (position one down). Comme l'indique le tableau 1.2, le ratio de dominance visuelle se calcule en comparant le pourcentage de temps passé à regarder-en-parlant à celui consacré à regarder-en-écoutant (95). Moins le clinicien consacre de temps à regarder-en-écoutant, plus le ratio est élevé et plus il communique des signaux de dominance (38,84). Comparé au thérapeute en position one down, il passe approximativement 10 s de moins par minute à regarder-en-écoutant (94). En conséquence, pour prendre une position one down (non expert), le praticien doit utiliser des indices visuels de soumission en augmentant le temps passé à regarder-en-écoutant. D'ailleurs, plus de contacts visuels et moins de regards d'évitement rehausseront son évaluation aux yeux des participants en le faisant paraître plus perspicace (402). À l'opposé, s'il détourne souvent les yeux ou évite le regard des participants, le praticien paraîtra incompétent, passif et moins attrayant (43). Chose certaine, le clinicien qui établit peu ou pas de contacts visuels mutuels obtient des réponses plus courtes à ses questions (178).

Tableau 1.2

Dominance visuelle

Dominance visuelle  =    % de temps passé à regarder en parlant   
 % de temps passé à regarder en écoutant

En outre, le praticien fournit aux lombalgiques la majorité des indices de ses intentions par sa communication visuelle (97). Son regard remplit trois fonctions essentielles : (i) établir et maintenir, soit une relation égalitaire (interaction symétrique), soit une relation de pouvoir (interaction complémentaire), (ii)&nbp;stimuler et intensifier une émotion, (iii) exprimer intérêt, chaleur, acceptation et respect envers le lombalgique (399). La communication visuelle constitue pour ces raisons une puissante source de renforcements. Regarder attentivement une personne dans les yeux au moment où elle change de comportement ou exécute un mouvement augmente la probabilité de reproduction de ce comportement ou d'exécution de ce mouvement (246). Par exemple, un simple contact visuel à la fin d'une intervention verbale amène généralement le lombalgique visé à parler davantage. Une exception prévisible : le contact visuel n'est renforçant que pour les personnes qui ont déjà eu, par le passé, des contacts visuels mutuels jumelés à des expériences positives. Le praticien ne doit donc pas trop insister (surtout au début) pour établir un contact visuel mutuel auprès du client qui évite systématiquement son regard. Mais surtout prendre soin de ne pas le rejeter. En somme, le regard communique la « dominance » de la position one up (regarder moins en écoutant) et la « soumission » de la position one down (regarder plus en écoutant). Le contact visuel contribue non seulement à rendre la relation plus intime, mais aussi à traduire un sentiment de valeur personnelle au lombalgique souffrant d'une faible estime de soi (52).

Expressions faciales. Praticien et lombalgique définissent aussi leur relation par leurs expressions faciales. Avec la voix, le visage constitue la source d'information la plus importante disponible pour le clinicien. En classe, il vérifie instantanément la compréhension des participants en observant leurs réactions faciales à ses paroles. En contact avec l'expression faciale de la douleur (tableau 1.3), il développe une relation empathique. L'empathie se définit comme « l'habileté à percevoir avec précision ce que l'autre personne ressent » (215, p. 234). Elle se produit quand une personne se soucie du bien-être de l'autre et perçoit l'autre dans le besoin (17). Elle constitue un important phénomène social où les sentiments d'une personne sont à la fois communiqués et partiellement ressentis par l'autre. L'empathie se développe de la façon suivante. Le participant manifeste continuellement ses émotions à travers ses expressions faciales spontanées (90). Pour sa part, le praticien éprouve ce que le lombalgique ressent à cause de notre tendance innée à imiter spontanément les expressions faciales du visage observé (67,257). Regarder simplement une autre personne sourire à la télévision déclenche machinalement un sourire à peine perceptible. Parler en souriant augmente automatiquement les sourires de l'auditeur (85). Ici, l'acte même d'imitation constitue l'élément clef de l'empathie. En regardant le visage souffrant du lombalgique, le praticien reproduit cette expression faciale (301,310,311). Une plus longue durée de contacts visuels augmente considérablement la fréquence de ces imitations empathiques (60). En retour, la contraction des muscles faciaux engendrent chez le praticien des sensations proprioceptives. Des changements physiologiques qui feront naître en lui des émotions ou des sensations subjectives identiques à celles vécues par le lombalgique. L'intensité de l'émotion ainsi ressentie reste cependant en deçà du seuil initial de l'émotion observée chez son client. Les mouvements faciaux ne sont probablement jamais reproduits de façon intégrale (146,147,413,414). D'autre part, notre capacité à reconnaître les expressions faciales des émotions reste d'habitude inférieure à celle nous assurant la reconnaissance de ces émotions exprimées par la voix (166, 325).

Tableau 1.3

Expression faciale de la douleur

Expression   Actions spécifiques
Douleur

Abaissement des sourcils, plissement du nez et soulèvement de la lèvre supérieure, rétrécissement des orbites et fermeture des paupières sous l'action de muscles faciaux (sourcilier, élévateur de la lèvre supérieure et orbiculaire des paupières). À ces quatre actions spécifiques s'ajoutent, de façon non consistante toutefois, l'ouverture de la bouche, l'étirement oblique des lèvres (risorius)- et une diminution du taux de clignements des paupières.

Voix. La communication vocale s'effectue à l'aide des indices paralinguistiques décrits au tableau 1.4. La qualité de la voix du lombalgique signale avec précision ses émotions. À preuve : pour démontrer la fiabilité de la voix sur laquelle repose « l'intuition clinique », des chercheurs demandent à des étudiantes et des étudiants en musique et en droit d'évaluer la voix de personnes dépressives à partir de brefs enregistrements (30 s) réalisés avant et après traitement (291). Le contenu des enregistrements est masqué ; un filtre électronique en rend les paroles inintelligibles en éliminant les hautes fréquences. Cette procédure conserve intacts les indices paralinguistiques de la voix : fréquence fondamentale, intonation, volume, débit et pauses. Dans 80 % des cas, les étudiants sont capables de distinguer si l'enregistrement a été effectué pendant la dépression ou après la guérison thérapeutique (les étudiants en musique réussissant à 85 % et ceux de droit à 60 %). Mais, en dépit de la capacité de la majorité des individus à reconnaître la voix dépressive, l'étude approfondie des paramètres de la voix révèle qu'aucun des indices paralinguistiques, considérés séparément, ne permet d'identifier la dépression. Plutôt, c'est la qualité de la voix fournie par l'ensemble des indices paralinguistiques qui influe sur notre jugement (349).

L'influence vocale du praticien s'exerce aussi à travers ces mêmes indices paralinguistiques. Il modifie ainsi considérablement le cours des interactions. Parler d'une voix calme rassure le lombalgique. Nous avons le sentiment d'être compris quand le locuteur nous parle d'une voix basse et douce (une voix calme), sourit et maintient un contact visuel élevé. À l'inverse, nous éprouvons le sentiment d'être incompris quand le locuteur parle avec hésitation, hausse la voix, paraît tendu ou tape du pied (45). Une voix calme rassure parce que le ton de voix traduit la compétence du clinicien (31). Comparé au praticien moins performant, le praticien compétent (selon l'évaluation de ses superviseurs) converse avec le patient sur un ton présentant moins d'anxiété. En plus, au tout début de l'entretien, le clinicien habile et désireux de maximiser son influence s'adresse davantage au patient en usant d'un langage professionnel. Ensuite, il abandonne cette tactique pour utiliser un ton de voix de plus en plus chaleureux. La respiration constitue l'ingrédient de base d'une voix calme. Une exhalation partielle, à 70 % de sa capacité pendant quelques cycles respiratoires, déclenche immédiatement un sentiment d'anxiété qui se reflète dans la locution du clinicien. Au contraire, une respiration lente et profonde suffit la plupart du temps à se calmer momentanément (298). De plus, la respiration du praticien influence directement celle du lombalgique (358). Des informations capitales à utiliser à la fin de chacune des rencontres en classe quand le praticien « dirige », de sa voix seulement, les quinze minutes pratique aboutissant à la réponse de relaxation (chapitre 8).

Tableau 1.4

Indices paralinguistiques

Indice Description
Hauteur fréquence fondamentale de la voix.
Intonation variation dans la hauteur de la voix.
Force volume de la voix.
Débit nombre de mots par minute.
Pause un silence; silence qui précède un changement de locuteur (pause de transition); changement de phrase, répétition, bégaiement, etc. (pause d'hésitation); interruption du flot de paroles par des "e-e" (pause de remplissage).

En outre, par les indices paralinguistiques de sa voix, le praticien « persuade » le lombalgique du bien fondé de ses suggestions. La voix convaincante traduit pour ainsi dire la gaieté, l'enthousiasme et l'intérêt dans la réalisation de la tâche. Une intonation variable (de fréquents changements dans la hauteur de la voix) constitue l'indice le plus déterminant du degré d'attraction et de compétence (294). Voix légèrement plus élevée, articulation claire et distincte, synchronisation des paroles avec les gestes, hochements de la tête, expressions faciales et mouvements du corps augmentent aussi la crédibilité et le degré de persuasion du praticien (406,415). En ce qui concerne les praticiens qui parlent vite, ce n'est pas le débit rapide qui « persuade », mais plutôt une élocution fluide ponctuée de peu d'hésitations. En classe, la présence d'un nombre élevé de ces hésitations produit des évaluations négatives de la part des participants. Du praticien, elles donnent l'impression qu'il est peut-être agressif, anxieux, méprisant, défensif ou simplement ennuyé (133). De plus, nasiller élimine totalement l'effet de persuasion de la voix (300). Enfin, la quantité de paroles transforme aussi la relation avec le client lombalgique. Au cours de l'évaluation clinique, ce dernier préfère le praticien qui parle peu sans laisser de longues périodes de silence, à celui qui parle beaucoup ou modérément, attitude jugée plutôt dominante (177). Somme toute, à travers la composante verbale et non verbale de sa voix, le praticien établit et maintient une relation avec le lombalgique en indiquant comment celui-ci devrait comprendre chacun de ses messages. Aussi, il peut se fier à la qualité de la voix du lombalgique pour identifier avec plus de précision ses émotions. En conclusion, la stratégie d'intervention de l'École interactionnelle récupère le fait que le praticien influence invariablement le lombalgique, volontairement ou à son insu, par sa communication visuelle, faciale et vocale. Elle s'appuie au plan théorique sur trois concepts : interaction, causalité circulaire et axiomes de la communication. Elle prend pour cible l'interaction entre les monades impliquées dans le traitement : lombalgique et praticien, lombalgiques entre eux ou lombalgique et membres significatifs de son entourage.

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