J'ai divisé cette prise de position en deux parties. La prise de position médicale du Dr Benoit Lavignolle (voir aussi sélection clinique dans lombalgie, Masson, 1996) et l'articulation avec les modèles de prise en charge véhiculé par une approche interactionnelle et proposé à nos clients
1. LA PRISE DE POSITION MÉDICALE
La fibromyalgie est à la mode, on n'en connaît pas très bien le mécanisme.
Depuis sa description par TRAVELL, il existe de nombreux travaux à ce sujet. C'est probablement une maladie de la plaque motrice avec les points gâchettes musculaires et des douleurs référées. Rien à voir avec le rachis qui est normal.
C'est une maladie de la femme jeune avec des tensions musculaires diffuses sur l'ensemble du dos et des ceintures. La fibromyalgie est une forme plutôt localisée et le Syndrome polyalgique idiopathique diffus ou polyentésopathie est la forme généralisée avec une centralisation dans la corne postérieure par excés de substance P. Une espèce d'intoxication ou d'emballement de la douleur au niveau des récepteurs NMDA accompagnée d'une baisse du rétrocontrôle central sérotoninergique. (voir ici les modèles de Le Bars et de Serge Marchand)
Les patients ont aussi des colites spasmodiques, des troubles du sommeil avec absence de relaxation musculaire (anomalie enregistrée à la phase 4 du sommeil).
Il existe aussi une certaine tension psychologique avec psychasthénie et des phases de dépression réactionnelle.
Sur le plan pratique et pour le traitement, l'attitude actuelle est la suivante:
Pour les formes localisées:
Spray au froid (inhibe le spasme), acupuncture des points moteurs ou mésothérapie avec petite dose in situ de xylocaïne et un myorelaxant (thiocolchicoside ou valium). Travell pique les mucles en profondeur à la procaïne et c'est suivi du stretching des muscles et surtout associé à une technique de relaxation.
Traitement de fond: magnésium , calcium et vitamine B6 et parfois un anxiolytique (TEMESTA) ou entretien psychologique.
Les antalgiques (Paracetamol associé au non avec dextropropoxyphène) ne me semblent pas trés efficaces sur ce tableau musculaire, cependant les
patients les consomment... C'est plutôt pour les douleurs rachidiennes arthrosiques.
Les exercices de renforcement sont mal tolérés car la contraction est douloureuse ainsi que "les étirements". Il faut conseiller une activité physique d'intensité moyenne mais régulière. Plus ils bougent, mieux ils sont et moins ils pensent à leur douleur.
Pour la forme généralisée
Ici c'est une tout autre affaire. Il faut, en plus des traitements locaux et physiques des médications centrales.
Je demande l'avis du neurologue et spécialiste du sommeil avec enregistrement. Il est conseillé classiquement des doses modérées de tricycliques. (Anafranil ou Laroxyl 20 gouttes) le soir vers 17 heures pour faciliter la relaxation nocturne. Certains donnent quelques gouttes de Rivotril (antiépileptique) et un myorelaxant à action centrale (Tétrazepam). D'autres proposent du PROZAC mais une étude randomisée aux USA par les Rhumatologues a montré que les tricycliques sont plus efficaces.
D'autres ont proposé des médicaments pour la recapture de la sérotonine (STABLON en France) à action sur le Stress si on retient l'hypothèse d'une baisse de la sérotonine avec élévation du seuil de la douleur et troubles du sommeil. Une recherche récente a montré chez ces patients une baisse de la carnitine plasmatique nécessaire au bon fonctionnement du muscle et il existe un protocole actuel avec LEVOCARNIL.
Il ne faut pas trop psychiatriser et nous ne sommes pas pour les antidépresseurs.
Ces patients sont très difficiles à gérer... J'insiste beaucoup sur le caractère bénin malgré l'incapacité souvent importante, la nécessité d'une technique mentale et la nécessité de maintenir malgré tout une activité (marche , vélo, natation).
Benoit Lavignolle. MD. Ph.D.
2. L'ARTICULATION AVEC LA POSITION MÉDICALE À L'INTÉRIEUR DES ÉCOLES
Dans une approche de type "école interactionnelle" et afin de maintenir l'objectif final qui veut que nous fassions de nos clients les experts de leur propre dos, je proposerai donc les stratégies suivantes:
Dédramatiser cette pathologie en laissant le patient avec ses cartes musculaires sur lesquelles il peut apprendre à agir plutôt qu'avec un diagnostic médical très large sur lequel médecin et patient ont finalement encore peu d'emprise faute d'en avoir décodé l'ensemble des composantes.
Insérer le client dans des groupes hétérogènes de lombalgiques afin qu'il soit en contact avec d'autres types de douleur lombaires chroniques et qu'il puisse échanger avec d'autres patients à la recherche des solutions toujours complexes qui supportent la gestion des douleurs chroniques.
Suivre attentivement les conclusions des recherches qui permettront tôt ou tard de mieux appréhender les bases neurochimiques et biomédicales de cet état.
Pour les formes localisées :
Proposer au client d'utiliser, pour gérer sa douleur, soit la glace soit la chaleur et le laisser choisir la solution lui apportant les résultats les plus satisfaisants. La plupart des patients choisissent la chaleur... À ceux qui préfèrent le froid, indiquer qu'il existe des aérosols en pharmacie... ou des petits pois congelés à l'épicerie! Profiter de l'inhibition de la douleur et de la relaxation musculaire pour étirer lentement les groupes musculaires douloureux.
Afin de maintenir l'autonomie des patients leur suggérer de continuer à essayer sérieusement l'acupression mécanique des zones gâchettes ou des points moteurs à la place de l'acupuncture ou de la mésothérapie pour tenter de provoquer une analgésie du même type (en remplacant les stimulations mécaniques de l'aiguille par celle tout aussi mécanique de la balle...). Une solution douloureuse à court terme mais à long terme????
Et l'injection de substances analgésiques dans la zone gâchettes? Attendre les résultats des recherches contre placebo avant de les recommander.
Et le TENS? Son essai est obligatoire pour tous dans les écoles. Il ne me semble pas très bien fonctionner avec des problématiques de ce type... Validez cette perception auprès de vos clients. En se basant sur les modèles de la douleur, il faudrait lui préférer le TENS acupuncture (à cause de sa non-spécificité) au TENS conventionnel (à effet trop localisé)...
La posture: Le contrôle proprioceptif du bassin et l'automatisation de sa mobilisation fait partie d'une habileté de base qu'il faut continuer à développer chez ces patients.
À partir de la rencontre sur "le terrain", vous devriez d'ailleurs inciter vos fibromyalgiques (comme toutes vos autres "cartes musculaires") à utiliser les gros ballons pour s'asseoir dessus plutôt que de rester encore figés sur leur chaise...
Dans la routine motrice, insistez sur la forme prise par les exercices d'étirement. Cette forme ici reste essentielle. Il existe une différence fondamentale entre le stretching à "l'occidentale" et le stretching "à la chinoise". Le "tai chi" et le "xi cong" restent probablement parmi les meilleures prescriptions d'exercices "d'étirement" pour ce genre de problème.
À défaut d'autres choses, pas de coups brusques sur les tendons et les muscles mais un étirement "langoureux" et tout en douceur. L'amplitude et le rythme du mouvement est ici bien plus important que la performance finale.
Et les renforcements? Prudence! Vous avez déjà choisi les exercices parmi les plus faciles. Si après deux à trois semaines vos clients les tolèrent toujours mal, les remplacer par des exercices de proprioception dérivés de l'anti gymnastique (vision panoramique, épaule huilée, hanche libérée...). Et si après deux à trois semaines certains de mes fibromyalgiques supportent de mieux en mieux ces renforcements... Laissez les poursuivre!
Profiter des ajustements obligatoires de vos routines motrices pour recadrer la perception des clients face au mouvement. Le mouvement pour le fibromyalgique est indispensable. Sa forme, la façon de le faire fait toute la différence. Trop il souffre, pas assez aussi. Un dosage homéopathique à chercher avec lui.
Le cardiorespiratoire: Obligatoire et sans échappatoire. "Conseillez une activité physique d'intensité moyenne mais régulière. Plus ils bougent, mieux ils sont et moins ils pensent à leur douleur..." Bouger régulièrement, constamment, en douceur et assez longtemps pour répondre aux critères de base d'une amélioration de leur condition cardiorespiratoire (3 fois 20 minutes minimum par semaine).
Les technique de préparation mentale sont fondamentales. Elles constituent, lorsque bien intégrées, l'équivalent chimique des antianxiolytiques dont vous tâcherez de sevrer vos clients si vous parvenez à leur faire acquérir une bonne "réponse de relaxation".
Vous leur proposerez naturellement ce sevrage durant vos interventions sur les médications. Privilège d'une approche étalée dans le temps, cette intervention arrive assez tard dans votre cheminement pour valider (ou non) les habiletés de vos clients dans ces activités mentales. Profitez ensuite de vos cinq dernières rencontres à l'école pour faire de vos clients des experts de la "réponse de relaxation" et de sa forme abrégée, le "réflexe de tranquillité".
Recommander aussi à vos clients le traitement proposé par le Dr Lavignolle: Utilisation du magnésium , du calcium et de la vitamine B6.
Au niveau des antalgiques? Laisser les patients gérer cette partie en maintenant une attitude réservée quant à leur usage régulier. Par contre en crise aiguë et à défaut d'autres solutions...
Durant la durée des écoles, le support du groupe et vos interventions remplaceront avantageusement l'entretien psychologique qu'il propose.
Pour les formes généralisées
Les recommandations de la partie précédente s'appliquent intégralement ici.
Mais il vous faudra travailler en collaboration avec le médecin traitant car en plus des traitements locaux et physiques, le patient utilisera souvent des médications à action centrales. Elles devront être conservées.
Et les processus de sevrage encouragés par l'école? Ils touchent surtout l'utilisation des antalgiques majeurs utilisés sur de longues périodes et pour d'autres types de douleurs lombaires que la fibromyalgie.
Sur l'utilisation des antidépresseurs? On ne semble pas s'entendre des deux bords de l'Atlantique... Personnellement si c'était l'un des membres de ma famille, j'irai avec les recommandations du Dr Lavignolle et j'attendrai les résultats des études contrôlés avant de poursuivre avec ce genre de médications. Délicat cependant. Informez le patient de votre position et laissez lui l'initiative finale.
Et les médicaments pour la recapture de la sérotonine à action sur le stress si on retient l'hypothèse d'une baisse de la sérotonine avec élévation du seuil de la douleur et troubles du sommeil?
L'hypothèse du déficit sérotoninergique est intéressante. Surtout si elle permet de faciliter la récupération nocturne au patient. Mais hypothèse pour hypothèse pourquoi ne pas poursuivre dans ce domaine et faciliter le sommeil du fibromyalgique en lui prescrivant de la mélatonine? Un médicament facile à obtenir. C'est la transformation de sérotonine en mélatonine sous l'action d'un neuromédiateur (N acéthyltransférase) qui permet le fonctionnement des horloges biologiques non? Ne pas oublier qu'on reste ici dans le domaine de la créativité et de la spéculation et que la science fonctionne à partir d'études contrôlés contre placebo!
Une autre piste intéressante: cette recherche récente qui a montré chez ces patients une baisse de la carnitine plasmatique nécessaire au bon fonctionnement du muscle. Attendre les résultats du protocole actuel avec le LEVOCARNIL.
En attendant:
L'utilisation du support du groupe et la philosophie de l'école permet à ces patients de rechercher avec les autres lombalgiques chroniques des pistes possibles de solutions sur les chemins parfois tortueux de la guérison...
Malgré l'incapacité souvent importante qui découle de cet état, insistez beaucoup sur le caractère "bénin" de cette pathologie par rapport à l'état de certains de vos autres lombalgiques.dans le groupe. Une compression de la racine nerveuse, une chirurgie manquée ou une fibromyalgie? Pour moi merci, je vous laisse les trois mais à choisir? Une question à poser à vos clients lors de vos interactions dans le groupe...
En attendant l'amélioration des solutions pharmacologiques continuez donc à souligner la nécessité d'une technique mentale et celle de maintenir, malgré toutes les difficultés rencontrées, une activité physique normale (marche , vélo, natation).
Il n'y a, ni pour le fibromyalgique ni pour le lombalgique, de solutions dans l'inaction. Depuis "l'expérience du sparadrap", personne ne le contestera! Quand à la perception de la douleur, le seul véritable expert reste encore et toujours votre client, lombalgique ou fibromyalgique.
Chenard JR. Ph.D