À la reconquête des douleurs facettaires

 

 

 

L'inactivité physique

Pour s'offrir la carte des douleurs facettaires, les moins imaginatifs empruntent aussi les sentiers de l'inactivité motrice. Un chemin sûr, un parcours déjà bien balisé sur la piste musculaire.

Vous souvenez-vous de l'expérience du sparadrap pour le petit doigt ? Une seule nuit d'inactivité et, ankylosées, les articulations des phalanges appellent déjà au secours.

Certains lombalgiques s'accrochent à cet espoir pour des retrouvailles rapides avec la douleur familière et apaisante des facettes. Erreur ! N'attendez pas d'une brève immobilisation des articulations du dos des miracles similaires à ceux obtenus avec les doigts. Les articulations lombaires manifestent plus d'endurance que celles de la main.

Procédons par étapes. Laissez d'abord s'affaiblir votre musculature  vos facettes ne s'en gripperont que plus facilement. Mais les meilleures donnes compensent difficilement les mauvaises stratégies. Des abdominaux et des dorsaux diminués restent évidemment de précieux atouts. Ils exposent les articulations postérieures ankylosées à l'embûche des faux mouvements ou des charges mal équilibrées.

Raccourcissez vos dorsaux tout en les renforçant. Vous augmenterez significativement vos chances de réussite.

Ensuite, remplacez le sparadrap pour le doigt par une attelle pour le dos. Facile à dire ! Facile à faire... Doublez, triplez même le temps passé, immobile, devant le petit écran.

 

 

 

 

 

 

Un mouvement brusque d'arraché, une extension exagérée vers l'arrière (en torsion pour plus d'efficacité) déclenchent, dans vos articulations affaiblies par l'inactivité, l'irritation recherchée.

La préparation mentale

N'en négligez pas pour autant la préparation mentale. En évitant soigneusement réponse de relaxation et fuite dans l'imaginaire, vous trouverez bien le moyen de maintenir en état de tension généralisée une musculature postérieure déjà bien éprouvée par l'inaction.

Un choix judicieux des émissions de télévision catalyse alors la réaction finale. Chez certains, la faim dans le monde, les meurtres à la une, les scandales politiques favorisent une prise rapide du ciment musculaire. Chez d'autres, les désastres nucléaires, les catastrophes écologiques, les crises boursières ou pétrolières facilitent la soudure motrice.

À éviter pour tous, les émissions de variétés. Plus frivoles, elles n'aboutiraient qu'à une évasion dans l'imaginaire favorisant la réponse de relaxation, un état préjudiciable à la tension requise pour des levées gagnantes.

Après quelques mois de ce régime  le moment de vérité approche. La nature vous apporte ici son aimable concours. Mauvaises herbes à arracher, neige à déblayer, rénovation de la façade à entreprendre, partie de foot ou de baseball à jouer : peu importe le prétexte si l'occasion de mettre enfin vos facettes articulaires à l'épreuve se présente.

Un mouvement brusque d'arraché, une extension exagérée vers l'arrière (en torsion pour plus d'efficacité) déclenchent, dans vos articulations affaiblies par l'inactivité, l'irritation recherchée.

La brûlure dans les lombaires possède cette qualité rassurante des douleurs familières. Vous en connaissez le prix habituel : quelques jours de repli sur le dos. Mais passerez-vous à côté de cette occasion unique de transformer votre douleur aiguë en souffrance chronique ?

Pour doubler la mise, persuadez-vous de l'imminence de la paralysie. Sur une chaise inconfortable, fermez les yeux et contractez vos muscles, de la tête au pied. Imaginez le pire, voire l'impossible. Un fauteuil roulant se détache lentement sur l'arrière-fond de vos sombres pensées. Il glisse doucement vers vous. Visualisez le nettement, étincelant et froid. De la tête aux pieds, crispez tout. Une fois à bord, il est entendu que vous n'en redescendrez plus : fini jardin, rénovations ou sports familiaux.

La sinistrose !

Reprenez cette préparation mentale soigneuse trois fois par jour, une semaine durant. Opportunité unique pour que le spasme musculaire protégeant la facette lésée s'étende de part et d'autre de la colonne vertébrale telle une coulée de feu. Avec un peu de persévérance, elle ensevelira bientôt l'ensemble du dos.

 

 

 

Extension lombaire par ci et rotation par là : comme une cicatrice perpétuellement ouverte, ne laissez à vos facettes aucune chance de guérir seules.

 

 

Un parcours type pour les facettes

Hier, pour solliciter cette carte facettaire, vous misiez sur l'immobilité mais aujourd'hui, optimisez donc vos gains, choisissez le mouvement. Plus de répit pour vos facettes ! L'intensité de l'attaque initiale s'amenuise-t-elle par la seule vertu d'une immobilité maléfique ? Extension lombaire par ci et rotation par là : comme une cicatrice perpétuellement ouverte, ne laissez à vos facettes aucune chance de guérir seules.

En phase aiguë, personne ne conteste la brutalité de l'attaque dont vous avez été l'objet. Vous aurez droit au traitement de luxe. Cela ne peut qu'être grave. Faites maintenant durer le plaisir. Ne refusez jamais, à ce moment-ci, un détour par l'hôpital. Toujours pas de diagnostic direct possible avec les cartes facettaires : rien sur les radios ni sur les vidéos. Mais l'examen clinique confirme un statut important : celui de malade, pas besoin de répétitions.

Ne perdez pas de vue l'essentiel : la chronicité. Comme pour une rage de dents, quelques piqûres pourraient vous insensibiliser. Rejetez cette solution tout comme ces inutiles relaxants musculaires.

Insistez pour obtenir les effets à long terme de quelques puissantes médications. Alléguez la souffrance (insupportable), une situation familiale (difficile) et le sommeil (impossible). Mettez le tout en perspective avec votre endurance initiale à la douleur : n'avez-vous pas résisté plus d'une semaine avant de venir, à bout de force, consulter ?

Non, vous n'avez décidément pas le profil d'un toxicomane ! Difficile de rester maître de l'échiquier en ne négociant que pour des antalgiques mineurs, un banal anxiolytique ou un anti-inflammatoire inutile ! Encore une fois, optez pour des narco-analgésiques (la souffrance...). À défaut, vous scellerez l'entente sur des barbituriques (pour le sommeil...) ou en tout dernier ressort sur des antidépresseurs (pour la situation familiale...).

Vous recommande-t-on, par inadvertance, de les prendre matin, midi et soir sur une base régulière ? N'en faites rien ! Le seul moyen de maximiser les effets secondaires de ces médicaments, c'est de les consommer chaque fois que le besoin s'en fait sentir. Le reste fait partie d'un répertoire plus classique. Il met en scène l'entourage familial à exploiter à fond en vue d'une série d'exemptions sélectives parmi les tâches familiales et les rôles les plus rebutants. Dans ce décor, ne négligez pas non plus l'employeur.

Rien ne vaut une fructueuse association entre la manifestation de vos douleurs facettaires et quelques solides bénéfices autrement refusés : allègement de la tâche, changement de responsabilités, etc.

Appuyé par un programme rigoureux d'inactivité motrice, agrémenté de quelques précautions spécifiques pour initier l'attaque brutale, le statut de lombalgique auquel vous pouvez prétendre en jouant ces cartes facettaires nécessite quelques exercices de vigilance durant les premiers jours de l'attaque.

À long terme, il reste à vous définir un statut social. Médecine, milieu familial et professionnel se doivent de vous l'assurer. Cette simple stratégie, accompagnée d'une préparation mentale appropriée, couronnera de succès votre retour sur les chemins de la lombalgie.

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