La chémonucléolyse

 

Le diagnostic

Sur les chemins de la guérison, repos ou traitements n'ont pas amélioré votre état. Une douleur lombaire invalidante reste la compagne habituelle de votre vie quotidienne. Des examens plus complets vont être pratiqués. Le scanner et l'Imagerie par Résonance Magnétique pointent du doigt le disque coupable.

Mes examens cliniques confirment ces images. Malgré les défaillances de votre disque, la ceinture qui l'entoure ne semble pas fissurée. Après consultation avec mes collègues, j'ai décidé de pratiquer une chémonucléolyse.

Je vais injecter de la chymopapaïne dans votre disque. Extraite du fruit vert du papayer, un arbre des pays tropicaux, la chymopapaïne est un enzyme. Un enzyme glouton identique à ceux dont les marchands de lessive vous vantent les mérites dans leurs publicités. Très utilisé dans l'industrie des cosmétiques ou de l'alimentation, cet enzyme se voit confier une mission : digérer le noyau du disque.

Mon hypothèse est simple. Comme un pneu trop gonflé auquel on ôte son surplus de pression, votre hernie va se résorber sous l'action de la chymopapaïne. Plus de renflement, plus de compression de la racine nerveuse. Plus de compression, plus de douleur incapacitante dans le bas de votre dos et dans votre cuisse. Une condition bien sûr : que le pneu n'ait pas éclaté !

Des réactions allergiques accompagnent souvent l'utilisation des médicaments. La chymopapaïne ne fait pas exception à cette règle. Êtes-vous allergique à cet enzyme ? Pour le savoir, un simple petit test cutané. Le test est négatif ? Peu de risques de réaction de votre part et toutes les chances de succès de la mienne. Positif ? Vous pourriez voir apparaître une réaction cutanée, des rougeurs, de l'urticaire, des démangeaisons, des oedèmes des mains, des pieds ou du visage. Cette réaction tardive survient parfois trente jours après l'intervention !

Inconfortable mais inoffensive, cette allergie disparaît aisément avec la prise d'un anti-histaminique. Et puis il existe ces cas rarissimes, deux ou trois sur mille, où vous pourriez développer une très forte réaction au moment de l'injection. Nous avons un terme barbare pour qualifier cet état de choc où entrent quelques personnes : l'état « anaphylactique ».

Un médecin anesthésiste se tiendra à mes cotés. Prêt à intervenir, il assurera votre surveillance durant l'injection. Cet anesthésiste vous le rencontrerez peut-être avant l'intervention. Au moindre doute, il pratiquera un examen complet et vous interrogera sur vos autres allergies connues : asthme, eczéma, urticaire, rhume des foins... etc. Il s'informera aussi de vos réactions éventuelles à d'autres médicaments. Peut-être vous conseillera-t-il la prise de médicaments anti-histaminiques comme l'Atarax pendant les trois jours précédant la chémonucléolyse. Certains médicaments sont déconseillés avant une chémonucléolyse (bétabloqueurs, anti-coagulants ). Il vérifiera donc vos prescriptions actuelles. L'une de ses questions portera sûrement sur les injections reçues dans le passé. Les risques d'une réaction allergique sont beaucoup plus grands (jusqu'à 40% de plus) chez ceux qui ont déjà eu une injection de chymopapaïne. Chez les femmes, il prendra une dernière précaution en s'assurant que vous ne soyez pas enceinte. Chémonucléolyse et grossesse ne font pas toujours bon ménage !

Bien sûr, pour éviter toute réaction allergique, je pourrais choisir une substance comme l'Aprotinine. Mais cette substance « digère » deux fois moins bien que la chémopapaïne. J'ai peur que le noyau de votre disque ne lui reste sur l'estomac !

L'hospitalisation

Un jour avant l'intervention, examens dans une main, valise dans l'autre, vous entrez à l'hôpital. Pourquoi cette grimace ? La valise... Vous préférez que quelqu'un s'en charge ? D'accord ! Il reste peut-être quelques examens biologiques complémentaires pour satisfaire l'anesthésiste ainsi qu'une radiographie pulmonaire et un électrocardiogramme. Une infirmière préparera votre région lombaire (rasage, savonnage antiseptique, etc.).

Moi, je vous fixe rendez-vous le lendemain dans le bloc opératoire où vous arriverez à jeun, calme et détendu grâce à la prémédication qui vous sera proposée une heure avant.

 

La salle d'opération

L'intervention se déroule dans des conditions d'asepsie totale. Le fantôme en kimono, masqué et ganté à vos côtés, c'est probablement moi, le chirurgien ! Quel que soit l'endroit douloureux, vous serez installé sur le côté gauche.

Habituellement, la traversée du muscle et la mise en place de l'aiguille est rapide et non douloureuse.

Je place toujours l'aiguille qui sert à l'injection du côté droit. J'ai mes raisons. Pendant l'intervention, des appuis vont vous maintenir dans cette position. Pour me faciliter la tâche, évitez de bouger...

L'anesthésiste dispose maintenant un moniteur de surveillance cardiaque et de tension artérielle à vos côtés. Il installe ensuite une perfusion veineuse. Cet écran juste en face de moi ? Il permet le repérage, dans les deux plans de l'espace, du disque à injecter. Grâce à ces images, j'assure avec précision le placement de mon aiguille.

Pour abolir toute sensation douloureuse durant l'intervention, j'injecte maintenant dans la peau et les muscles un produit identique à celui utilisé par votre dentiste. Cette anesthésie locale vous la ressentirez comme la piqûre d'un insecte. Elle s'accompagne d'une brève sensation de chaleur.

L'anesthésiste ajoute maintenant dans la perfusion une substance analgésique. Vous resterez conscient durant la totalité de l'intervention. Conscient, capable de répondre à nos questions et de respirer sans l'aide d'appareils de ventilation. Guidé par l'écran radiologique, je vais maintenant placer mon aiguille au centre du disque. Mon point d'entrée, c'est votre côté droit, à dix ou douze centimètres du milieu du dos. L'aiguille traverse maintenant vos muscles lombaires anesthésiés. Sans jamais entrer en contact avec le canal vertébral où se situent des structures nerveuses délicates, elle pénètre dans le disque.

Habituellement, la traversée du muscle et la mise en place de l'aiguille est rapide et non douloureuse.

Exceptionnellement, lorsque l'aiguille arrive au contact du disque, elle irrite la racine nerveuse. Elle provoque alors une douleur qui irradie dans la jambe. Signalez-la moi !

Un léger changement de direction pallie aisément à cet inconvénient sans gravité. Je teste maintenant le disque malade. J'enregistre d'abord sa pression pour m'assurer de l'étanchéité de la ceinture qui l'entoure. Ensuite, je rends opaque la rotule, le noyau central du disque, pour le rendre visible sur mon écran de contrôle. Cette discographie précise le type de hernie discale en cause. Ce test reproduit souvent aussi la douleur qui vous a amené à nous consulter. Pendant un bref instant, vous ressentirez une douleur familière au niveau lombaire, douleur irradiant parfois dans la jambe. Profitez-en pour le signaler  c'est peut-être la dernière fois ! Ce test confirme la responsabilité du disque dans la compression de la racine. Je vous avais prévenu, je suis un maniaque de la précision : je veux tout comprendre, tout vérifier, tout voir.

Maintenant, je suis en mesure d'évaluer les chances de succès de mon intervention. Supposons que la ceinture entourant le disque soit fissurée et qu'une partie du matériel contenu dans le noyau central ait émigré dans le canal vertébral... Comment voulez-vous que mon enzyme glouton puisse s'y attaquer ? Si tel était le cas, j'opterais pour une technique micro-chirurgicale. Je le ferais immédiatement ou attendrai le lendemain.

Aujourd'hui, les conditions requises sont remplies. Ce que je vois correspond bien à un disque, cabossé certes, mais dont la ceinture périphérique tient encore le coup. J'injecte lentement la chymopapaïne. L'anesthésiste surveille attentivement ses appareils et vos réactions. Éprouvez-vous des fourmillements dans le visage, le cou, les mains ? Ressentez-vous un goût métallique dans la bouche, une sensation de nausée ou de froid ? Des médications seront alors injectées dans votre perfusion pour prévenir toute possibilité de réactions allergiques.

La salle de réveil

Après une observation de quelques minutes, un pansement est mis en place sur la zone de ponction. Vous serez placé sous surveillance une ou deux heures en salle de réveil, puis regagnerez votre chambre. L'enzyme commence à faire effet. Il digère lentement le noyau responsable de l'excès de pression. La douleur lombaire qui accompagne souvent cette phase de digestion a été rendue tolérable par l'ajout de médications appropriées dans la perfusion. Ce cannibalisme interne, accompagné d'une élimination urinaire, se poursuivra soixante-douze heures.

Vos chances de guérison ?

Elles sont maintenant excellentes. Quatre-vingt pour cent des patients traités de cette manière se déclarent satisfaits et reprennent rapidement une activité normale avec pas ou peu de douleurs résiduelles. Treize pour cent des autres doivent subir une intervention chirurgicale complémentaire. Sept pour cent recevront des traitements divers pour des lombalgies résiduelles. Les causes de certains échecs ? Le fait que la ceinture de protection qui entoure le disque soit lésée et qu'une partie du matériel contenu à l'intérieur ait émigré à l'extérieur. Impossible alors de l'atteindre même avec un enzyme affamé...

Pour moi, c'est terminé. La convalescence commence pour vous.

Après la chémonucléolyse, la récupération varie considérablement selon les patients. Dans la majorité des cas, la sortie est possible le jour même ou le lendemain de l'intervention. Une condition : rester en position allongée dans votre voiture si une distance importante sépare l'hôpital de votre domicile.

Il est rare que la douleur lombaire et la sciatique disparaissent immédiatement, même si l'enzyme s'acquitte efficacement de sa mission de digestion. Une lombalgie assez prononcée et des contractures musculaires importantes accompagnent quelques patients durant les premières vingt-quatre heures. Cette douleur aiguë impose une période de repos allongé avec, au début, des médications par voie intraveineuse. Parfois, ce traitement pharmacologique se poursuit sous forme de comprimés pendant une ou deux semaines.

Il est tout à fait habituel d'avoir aussi des élancements dans les jambes, de ressentir des fourmillements et des crampes dans la fesse et le mollet. Ces sensations diffèrent de la crise de sciatique initiale.

Inconfortables, elles n'ont aucun caractère de gravité. Elles ne doivent en aucun cas vous laisser croire que la chémonucléolyse a échoué.

Habituellement, elles disparaissent lentement sur une période de quatre à six semaines.

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