Mécanisme de la douleur

Les mécanismes de la douleur

Contre la douleur, un traitement de choc


 

Sur dix patients qui en font l'essai, sept s'en déclarent totalement satisfaits.

Le message issu de la douleur aiguë est clair, ses étapes bien définies : d'abord vers le cerveau pour ensuite vous retrouver sur le dos. Aïe! Pourquoi s'inquiéter?

Patience, repli et médicaments voilà trois ingrédients de choix contre ce type de douleur. Mais avec le temps, des interférences brouillent la clarté de ce message initial.

Vous souvenez-vous de la dame en noir? Vieille femme pour les uns, jeune dame pour les autres... Les mécanismes sous-jacents à la douleur chronique n'obéissent plus au parcours rassurant de la douleur aiguë.

Les habitants de la Grèce Antique s'en doutaient déjà. Ils avaient appris à court-circuiter la douleur chronique. Et à la court-circuiter au sens propre... Mais d'où venait l'énergie électrique dans la Grèce ancienne? De la mer. Usine marée-motrice? Non, poisson-électrique.

Précurseurs de nos balnéothérapeutes modernes, les praticiens de l'antiquité recommandaient à leurs patients lombalgiques, avec le bain de siège obligatoire, l'imposition des mains sur l'un de leurs assistants à nageoires. La taille du poisson dépendait évidemment de la gravité de la lésion.

L'engourdissement, consécutif à la décharge reçue, délivraient, pour quelques temps, lombalgiques et rhumatisants, de toute autre préoccupation. Sous sa forme consacrée, le bain de siège jouit d'un regain de popularité dans nos médecines douces.

Malheureusement, le poisson-torpille se fait rare le long de notre littoral. Pour pallier à cette pénurie locale de main d'oeuvre spécialisée, les techniques ont dû évoluer. Moins spectaculaire, le modèle actuel n'en respecte pas moins les principes de base de cette « thérapeutique de chocs ».

L'électronique remplace l'intervenant aquatique d'hier. Bardées de contrôles et de voyants, nos machines séduisent tant par leur apparence externe que par leur nom : T.E.N.S (Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation ou en français, stimulation nerveuse électrique transcutanée) ou T.N.S (stimulation nerveuse transcutanée).

Aujourd'hui de la taille d'un « baladeur », demain de celle d'une montre, ces stimulateurs délivrent, selon des fréquences pré-déterminées des trains d'impulsions électriques. Désagréables certes, mais sans comparaison possible avec la décharge d'un poisson-électrique...Et l'analgésie produite atténue vos douleurs de façon significative.

Sur dix patients qui en font l'essai, sept s'en déclarent totalement satisfaits.

Hier, Poséïdon  aujourd'hui le « portillon »

Portillon ouvert

Dans le traitement de la lombalgie chronique, l'hyperstimulation électrique reste l'une des rares thérapeutiques bien évaluées qui, à court terme, surpasse l'effet combiné du placebo et du simple passage du temps.

Pour expliquer ces effets analgésiques significatifs, les Grecs invoquaient l'intervention de Poséïdon, dieu de la mer. De nos jours, on ferait plutôt appel à un mécanisme appelé « théorie du portillon ». Selon cette théorie, il existe, au niveau de la moelle épinière et des centres sous-corticaux un système de fermeture, un « portail ». Ce mécanisme exerce une gestion sélective des informations douloureuses filtrant vers les étages supérieurs de la conscience.

Portillon fermé

Lors d'une surcharge des circuits nerveux chargés du transport de cette information, des fusibles sautent.

Le portillon ferme, il ne laisse plus filtrer d'informations. Comme les poissons d'hier, les stimulateurs électriques actuels utilisent ce mécanisme. Les trains d'ondes ou les bouffées d'impulsions qu'ils délivrent par l'intermédiaire d'électrodes fixées à votre peau, aux alentours de la partie douloureuse, actionnent ce portillon. Ils bloquent l'accès habituel de la douleur vers les étages supérieurs de votre conscience comme l'arrivée d'un train ferme, dans certaines gares, les portes d'accès aux quais.

Au portillon, la souffrance patiente le temps nécessaire au passage du convoi. Parfois beaucoup plus !

 

Les médecins chinois utilisaient-ils le poisson électrique ?

L'histoire ne le dit pas. Mais bien des scientifiques expliquent aujourd'hui une partie des effets analgésiques de l'acupuncture à l'aide de cette théorie. L'implantation des aiguilles dans des zones capables de provoquer d'importantes excitations active ce mécanisme de blocage. Certains acupuncteurs modernes, pour faciliter la fermeture du portillon, ne relient-ils pas leurs aiguilles à de petits stimulateurs électriques ? Ainsi créée, l'hyperstimulation locale renforce les effets analgésiques du traitement traditionnel.

Les Japonais utilisent aussi le poisson électrique

Ils l'apprêtent en « sushi », un des plats réputés de la gastronomie locale. Ils ne privaient pas pour autant leurs concitoyens lombalgiques d'une méthode efficace de traitement. Le « shiatsu », une technique traditionnelle de massage, utilise également les effets bénéfiques de l'analgésie par hyperstimulation, mais mécanique cette fois. Des pressions fermes et souvent douloureuses sont exercées manuellement sur des localisations musculaires spécifiques particulièrement sensibles. Ces « zones-gâchettes » correspondent d'ailleurs à des points d'acupuncture. Cette importante stimulation mécanique active le portillon et explique probablement ainsi l'engourdissement produit sur des régions souvent fort éloignées du lieu même de la stimulation.

 

La médecine occidentale récuse méridiens, circulations d'énergie ou points d'acupuncture

 

Portillon ou placebo ? Les deux ou mieux ? Mésothérapie ou « maso-thérapie » ? Personne n'ose se prononcer...

 

 

 

Dotée d'aiguilles, de seringues et de médicaments, appuyée sur une solide logistique, elle a pris d'assaut la maladie. Une victoire indiscutable sur presque tous les fronts importants. Il reste quelques poches de résistance.

Contre la lombalgie, les premières attaques ont été menées au coup par coup. La belle époque ! Une piqûre contre la douleur par ci, un peu d'anti-inflammatoire par là. Et contre cette zone trop contracturée ? Un relaxant musculaire. Logique mais inefficace !

De nouvelles stratégies apparaissent, de nouvelles armes sont mises au point. La mitraillette à injections remplace la seringue traditionnelle  la mésothérapie, vient de naître.

À la place du coup par coup des campagnes d'antan, c'est maintenant la salve destructrice. Quatre piqûres d'un coup. La même rafale vous expédie un projectile chargé d'une substance contre la douleur, un autre contenant un anti-inflammatoire, un troisième destiné à relaxer le muscle et le tout couronné d'une substance vasodilatatrice destinée à faciliter la dispersion des produits précédents. Qui fait quoi contre la douleur lombaire : nul ne le sait ! Un cauchemar pour les stratèges chargés de l'identification des substances responsables de « l'effet thérapeutique ». Car effet thérapeutique il y a ! Comment en serait-il autrement pour un lombalgique après avoir subi un feu aussi nourri ?

Portillon ou placebo ? Les deux ou mieux ? Mésothérapie ou « masothérapie » ? Personne n'ose se prononcer...

En attendant peut-être utilisez-vous intuitivement ces mécanismes ? Après avoir heurté un objet, n'avez- vous pas l'habitude de frotter ou de stimuler vigoureusement la partie endolorie ? Dans l'affirmative, vous tentez probablement de diluer le message douloureux initial dans un flot d'interférences. En actionnant votre propre portillon, vous espérez ainsi duper le cerveau et le détourner, par cette stratégie, des messages douloureux initiaux...

Électricité, acupuncture ou shiatsu : c'est bien pratique. Une boîte électronique, quelques aiguilles, un massage et... bonjour la visite ! Finies les longues pérégrinations sur les chemins encombrés de la guérison.

 

Pratique certes, mais ce refuge n'offre qu'un abri temporaire. Dans la gestion de la douleur chronique, à choisir entre médicaments ou traitements de chocs, optez plutôt pour les traitements de choc. La dépendance physique envers ces traitements porte moins à préjudice que la dépendance biologique envers une drogue. Mais il y a un risque. Le même qu'avec tous les médicaments et tous les traitements proposés par d'autres dans la lutte contre la lombalgie chronique : celui de confondre des moyens valables d'altérer temporairement la douleur avec des techniques efficaces de gestion à long terme de la souffrance.

Ici rien ne vaut l'efficience personnelle, pas même ces produits opiacés manufacturés par mon cerveau dans les situations de crise ? Même pas.

Certes, cette morphine intime n'est ni illégale, ni dangereuse comme ces dérivés de l'opium achetés clandestinement dans la rue. Et l'endomorphine joue le rôle non négligeable d'un « contrôle inhibiteur diffus ». Un portillon chimique, cette fois, destiné à neutraliser les substances toxiques libérées par des douleurs déjà difficilement supportables.

Mais dans la bataille contre la lombalgie chronique, ce renfort intervient tard. Souvent trop tard, alors que les stratégies d'efficience personnelle ne permettent déjà plus de contrôler des douleurs prolongées au-delà des limites raisonnables du supportable et des possibilités individuelles de l'apprentissage. Un ultime garde-fou, un rempart rassurant mais inutile.

Car de l'efficience personnelle au martyre, il y a qu'un pas. Parfois un pas de trop. Tant qu'à utiliser des garde-fous, autant vous abriter derrière ceux de la pharmacologie. Ils ne sont pas placés directement au dessus du vide !

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